Antisémitisme et islamophobie, lecture comparée
De Drumont à Zemmour, le fond de commerce de la haine
Le mec fait flipper. Instinctivement, on se dit que ses écrits, ses prises de position dans les débats et les meetings ont déjà été couchés sur le papier, déjà prononcées au siècle dernier, ou celui d’avant encore. On parle là d’Éric Zemmour. Plus besoin de présenter cet ancien journaliste du Figaro, pamphlétaire du petit écran qui déverse actuellement sa bile sur CNews. Ce gars, fin septembre, a participé à la « Convention de la droite » – en fait un repaire d’extrême droite dont la marraine était Marion Maréchal Le Pen. Lors de cette sauterie, le journaliste a affirmé que « tous nos problèmes aggravés par l’immigration sont aggravés par l’islam », soutenant « aimer les formules de Renaud Camus », théoricien de la thèse du « grand remplacement ». Et d’évoquer « une inversion de la colonisation » et une « extermination de l’homme blanc hétérosexuel catholique ».
Ces sorties lui valent d’être poursuivi pour « injures publiques » et « provocation publique à la discrimination, la haine ou la violence ». Le lien avec le discours antisémite de la fin du XIXe siècle ? On y arrive. Dans Le Venin dans la plume, ouvrage paru à la rentrée aux éditions La Découverte, l’historien Gérard Noiriel éclaire le parcours de Zemmour à l’aune de celui d’Édouard Drumont (1844-1917), journaliste, écrivain, homme politique, mais surtout antisémite notoire, auteur du best-seller La France juive (1886) et fondateur de la Ligue antisémitique de France – excusez du peu.
L’historien décrit la vie des deux personnages, mais aussi leurs époques respectives, pleines de similitudes. Cela va du développement des médias à celui du capitalisme sur fond de crise économique. Bref, un terreau idéal pour faire croître la haine de l’autre.
À plus d’un siècle d’intervalle, les deux pamphlétaires décrivent une France éternelle, comparée à une personne menacée. Mais par qui donc ? « La victime est la même, explique l’auteur. C’est la France, mais l’agresseur est différent. Chez Drumont, c’est le juif opposé au chrétien […]. Chez Zemmour, l’étranger c’est le musulman. » Dans les deux cas, la menace est alimentée par « le parti de l’étranger », constitué pêle-mêle des « élites » – qui ont trahi le peuple pour se jeter dans le bras de l’Union européenne selon Zemmour ; ceux de « la juiverie, la haute banque, les gros exploiteurs », selon Drumont –, mais aussi des médias décadents (dont Zemmour est le bon client), des féministes, des marxistes, des défenseurs des droits de l’homme...
L’historien établit moult autres similitudes entre les logorrhées des deux hommes, qui se font terriblement écho. « Même si leur style est différent, nos deux pamphlétaires tirent la même leçon de l’histoire : au départ, l’ennemi se présente sous un jour aimable, puis il révèle sa véritable nature belliqueuse, assure l’auteur. Zemmour justifie le refus du gouvernement hongrois d’accueillir aujourd’hui des migrants en invoquant cette leçon de l’histoire : la conquête islamique commence toujours de façon pacifique mais dès que la démographie le permet, les Arabes imposent leur pouvoir. Drumont avait dit la même chose à propos des juifs en 1886 : “Jamais l’envahissement, d’abord doucereux, puis brutal, du juif ne s’est affirmé d’une façon plus saisissante. La maison est à moi. C’est à vous d’en sortir.” »
Autre point commun : « Drumont, tout comme Zemmour, puise dans l’actualité les preuves que l’ennemi mortel de la France est sur le point de vaincre. »
On l’a déjà évoqué : Zemmour croit dur comme fer à la théorie du « grand remplacement » : « Les jeunes de demain iront chercher des femmes dans le bled d’origine de leurs parents, écrit Éric Zemmour dans Le Suicide français. L’immigration de peuplement alors s’autoengendrera, débordera des cadres administratifs du regroupement familial, fera masse, fera souche, fera peuple. Un peuple dans le peuple. » Édouard Drumont n’écrivait pas autre chose dans La France juive : « En Roumanie, c’est une sorte d’écoulement perpétuel qu’il est impossible d’arrêter. Le grand réservoir du sémitisme, la Galicie et les provinces russes limitrophes déversent incessamment là leurs hordes puantes. »
Autre antienne qui a traversé les siècles : le refus de s’assimiler. Pour Zemmour, cela est dû au fait que l’islam « est à la fois une identité, une religion et un système juridico-politique. Le musulman est soumis à la communauté des croyants : l’oumma. Cette “nation musulmane” s’impose à l’individu, mais aussi aux nations où le musulman pourrait être appelé à séjourner. » Alors que pour Drumont, ben, tout pareil : l’assimilation est impossible parce que « chez les juifs, la religion embrasse tout ce qui fonde et régit la société. De là, les juifs forment partout une nation dans la nation, ils ne sont ni français, ni allemand, ni anglais, ni prussiens, ils sont juifs. »
Ha, et autre fait intéressant dans la biographie des deux hommes : ils s’enorgueillissent de venir de milieux populaires. Mais attention, ils ne sont pas pour autant devenus membres de la classe dominante. Non, les dominants, ce sont les autres : « Hier dominés, ils [les musulmans] dominent aujourd’hui », selon Zemmour. « C’est vous qui devez vous soumettre au juif, vous plier à ses coutumes, supprimer tout ce qui le gêne », pour Drumont.
Et on retrouve encore et toujours les mêmes affirmations paranoïaques chez les deux pamphlétaires : « Ils font la loi chez nous » ; « Ils dégradent notre langue » ; « Ils ont des noms à coucher dehors » ; ce sont des « Français de papier », formule empruntée au royaliste Charles Maurras (comprenez : ce ne sont pas des Français « de souche »).
Et là, à ce moment du livre, le lecteur ne peut contenir un point Godwin, en espérant que l’actualisation zemmourique du discours de Drumont ne conduira pas aux mêmes funestes conséquences.
Cet article a été publié dans
CQFD n°182 (décembre 2019)
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Paru dans CQFD n°182 (décembre 2019)
Dans la rubrique Le dossier
Par
Illustré par L.L. de Mars
Mis en ligne le 16.05.2020
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