Edito : Point de bascule
Fin août 2016, les cadors de la géologie mondiale se réuniront dans la ville du Cap (Afrique du Sud) pour leur 35e congrès. L’occasion pour nos fins limiers de la croûte terrestre de se mettre d’équerre : sommes-nous d’accord pour que les manuels de nos minots contiennent désormais un chapitre intitulé « Anthropocène : quand l’homme moderne devient force tellurique » ? Avec un titre pareil, on sent d’emblée l’ambivalence : l’homme qui, tout gonflé de savoir accumulé, pose enfin son cul de scientiste accompli à la droite de Dieu. Mais contemplant l’immense merdier calorifère, il se demande s’il n’a pas poussé le piston à carbone un peu trop loin. En matière de prospective climatique, il est une règle qui ne cesse de se vérifier : les prévisions sont toujours en-deçà de la réalité. La banquise dégèle à vitesse grand V, les espèces calanchent à un rythme « génocidaire » et le taux de CO2 dans l’atmosphère vient de dépasser le seuil fatidique des 400 ppm (parties par million). Dans la même séquence sidérante, experts et politiciens nourrissent la transe cathodique et nous causent tri sélectif et mix énergétique pour nous sortir de l’impasse. Énergies renouvelables, nouveau graal, dernier râle. Et la planète, elle est renouvelable, ducon ?
L’air manque. Certains ont déjà les bronchioles qui sifflotent, l’apnée qui s’installe. Plus personne ne court, plus personne ne bouge. Il te reste un peu de Ventoline ? Depuis un certain vendredi 13, le climat en a pris un nouveau coup derrière la carafe. Sous les balles, 130 corps se sont couchés. Vos guerres, nos morts : de la gauche radicale à la fosse septique zemmourienne, le slogan a fait la culbute. L’encre a coulé sur le sang encore frais : ça a fait de drôles de mélanges. Il fallait comprendre, il fallait analyser, il fallait in fine produire du contexte. Il y avait celles et ceux qui criaient à l’obscène ; et les autres, pris d’une fièvre géopolitique ou sociologique, qui formaient de nouvelles cartes et traçaient le pointillé d’une spirale à vocation infernale. Vous pleurez une centaine de morts, alors qu’ils sont plus de 250 000 en Syrie, s’indigna un piètre comptable de l’Internet. Il n’est pas à choisir entre ceux qui dégainent la calculette à macchabées et d’autres qui pavoisent en tricolore. Plutôt accepter le fait qu’une douleur collective n’est pas forcément preuve d’une faiblesse à la Panurge. Faire le deuil des siens et d’un système destructeur du vivant ; partir de là pour construire de nouvelles digues. Car on sait déjà que les eaux vont continuer à monter.
Le dossier spécial Cop21 "un climat irrespirable"
L’écologie su spectacle > La 21e Conférence Of Parties (COP) se réunit sous la protection des Casques bleus du 30 novembre au 11 décembre pour régler le sort de la planète. Qu’on se rassure : aucun engagement collectif, négocié et concret contre les causes du réchauffement climatique ne verra le jour. Ce qui fait la saveur de la COP21, ce n’est donc pas le résultat mais la mise en scène elle-même.
Loin de cet éco-show, CQFD est allé à la rencontre de celles et ceux qui ne sont pas copains avec la COP : Antoine Costa, le réalisateur du documentaire La rançon du Progrès, où il est question de la financiarisation de l’air, des animaux, des végétaux... Ou encore l’historien Christophe Bonneuil qui nous explique comment la promesse de modernité et le capitalisme nous ont menés aux portes du chaos climatique. Mais aussi avec Antonia, Hannes et Fiona, activistes allemands de la « gauche interventionniste », composante de la coordination « Ende Gelände ». Ou encore avec des aveyronnais en lutte avec l’industrie électrique. Et même, dans un magnifique reportage photo, avec le peuple Nasa, qui libère la terre-mère en Colombie !
Le dossier "Massacres du vendredi 13"
Avec ce dossier, CQFD revient avec quatre pages sur les attentats de Paris, l’état d’urgence et la situation au Moyen-Orient.
L’étau d’urgence > « Nous sommes en guerre. » Cette ritournelle, on l’a entendue jusqu’à la nausée depuis le vendredi 13 dernier. Pourtant, ce n’était pas une nouvelle, la France en guerre. Puis, à peine le temps d’un coup de fil aux potos qui habitent à Paris et nous nous sommes tous retrouvés en état d’urgence – Vlan ! double sanction.
Daech : ce monstre qui adore se faire haïr > Ou comment les interventions guerrières des grandes puissances au Moyen-Orient risquent au final de renforcer Daech et les régimes autoritaires de la région.
Enquêtes et reportages
Encore ce mois-ci, nous voyageons. De Marseille à Cuba en passant par le Portugal.
Marseille : La Plaine, quartier libre > La rumeur courait les étals et les comptoirs depuis quelque temps : une restructuration radicale de la place Jean-Jaurès était dans les cartons de la mairie de Marseille. C’est alors que les plans, jusque-là tenus secrets, sont tombés entre les mains de la plèbe. Aïe !
Portugal : Saudade sociale > Le 4 octobre dernier, après quatre années d’austérité, la droite est éjectée du Parlement portugais par une union inédite de la gauche. Mais entre des socialistes biberonnés au néo-libéralisme, une extrême gauche désenchantée et des mouvements sociaux trop focalisés sur leurs revendications, c’est un plan d’austérité « light » que promet cette fragile alliance de la gauche.
Ma cabane pas au Canada : La Havane entre détente et répression > Les souris dansent-elles quand Castro dort ? Rencontre à La Havane avec les membres de l’Atelier libertaire Alfredo-López, pour espérer des lendemains qui chanteraient l’anarchie sur les rivages de la patrie du socialisme.
Cultures et analyses
Nos pages cultures sont largement consacrées ce mois-ci aux lectures... des minots ! « Les enfants ont besoin de comprendre le monde social » > Les éditions La ville brûle se sont lancées dans la « littérature jeunesse engagée » depuis deux ans et ont rencontré un beau succès avec deux manifestes antisexistes, On n’est pas des poupées et On n’est pas des super héros. Interview de Marianne Zuzula, animatrice de la maison d’édition.
Pour les plus grands, on parle d’un beau livre de photographies. Circulez, y a tout à voir ! > L’écrivain Yves Pagès signe Photomanies, un livre de photographies « écrites », capturées à travers Paris et sa petite couronne.
Mais nous revenons aussi sur les 10 ans des émeutes en banlieues de 2005. « Les bibliothécaires sont perçus comme des envahisseurs » > S’en prendre aux forces de l’ordre, cela va de soi. Mais à une bibliothèque, c’est moins évident à appréhender. Au cours des émeutes de l’automne 2005, 32 bibliothèques auraient été caillassées ou incendiées sur tout le territoire national. Charlotte Perrot-Dessaux, doctorante en sociologie (Paris-7), étudie depuis plusieurs années la place et la perception de ces lieux de culture dans les quartiers populaires. Entretien.