Rendant hommage à l’historien marxien Eric Hobsbawm, auteur du classique Les Bandits [1], les textes s’avancent ici à contre-pied du préjugé marxiste selon lequel le lumpenprolétariat est voué aux basses œuvres de la bourgeoisie. Ils s’élèvent aussi contre l’idéalisation de ces expéditions sans retour par l’esthétique radical-chic. Contre l’oubli et le folklore donc, ce livre reprend le flambeau des imaginaires dissidents, primitifs, anté-politiques.
[|Avec audace|]
La fin tragicomique du gang des frères Kelly ouvre le bal avec audace, contée par un Émilien Bernard [2] inspiré. Une lettre-testament, des articles de presse et deux films (dont celui avec un jeune Mick Jagger dans le rôle de Ned) sont ici ravivés par une narration déjantée et surréelle, digne d’un comics où s’entrechoqueraient les traits de Corto Maltese et de Charlie Schlingo.
On plonge ensuite dans la toute beauté du texte de Thomas Giraud sur Rob Roy, le voleur de bétail des Highlands. Fine et puissante évocation du paysage écossais, d’une langue niée mais encore habitée, d’un peuple dépossédé, exploité, mais toujours debout.
Puis la légende vraie s’englue plus qu’elle ne transporte. C’est le chapelet des calvaires subis par Phoolan Devi, la reine des bandits, au sujet duquel le mantra ici récité ne parvient pas à reproduire le souffle qui anima son insurrection permanente. Peut-être parce que Devi a elle-même raconté sa propre histoire avant d’être assassinée en 2001…
L’histoire de Cartouche, joliment retracée dans une langue tout aussi cultivée qu’argotique, se retrouve, elle, piégée par un certain déjà-vu. On aimerait moins d’anecdotes sur Belmondo, et un peu plus de la truculente sauvagerie des Villon et autres Rabelais.
La légende de Murieta s’appuie quant à elle sur l’attrait de la mort dans la culture mexicaine, qui fait chevaucher le squelette des révolutionnaires dans des montagnes indéniablement éternelles. L’auteur opère des allers-retours entre les origines du mythe (là, le XIXe siècle et la naissance de l’impérialisme US) et les jours d’aujourd’hui, dans des lieux encore hantés par son esprit rebelle. La magie opère par à-coups.
Puis vient, sans prévenir mais en se recommandant de Walter Benjamin, le dialogue amoureux des crânes de Maria Bonita et Lampião, exposés dans un vil et poussiéreux musée du sertão brésilien. Réhabilitant le thème de la vengeance autant que celui de la dignité des gueux, Jean-Luc Sahagian commet un cohérent (et émouvant) collage de documents apocryphes, de chansons et d’inspirations poétiques à la gloire des derniers cangaçeiros [3].
Quant à Sante Notarnicola, s’il est une légende ici contée par Serge Quadruppani, elle est bien vivante et tient un bar à Bologne. Émigré de son Mezzogiorno natal à Turin, au début des années 1960, il découvre avec dépit que depuis la Libération, le parti communiste a été condamné par les accords de Yalta à critiquer le capitalisme tout en le préservant. Ce qui provoque une fièvre illégaliste chez certains jeunes ouvriers et mène Sante derrière les barreaux.
[|Ligne de fugue|]
Ainsi la littérature parvient-elle à combler quelques lacunes de l’historiographie par un va-et-vient entre les faits réels et la subjectivité du conteur – et son lot d’anachronismes et de supputations fertiles. Qui sait ? L’actuelle hyper-concentration des richesses n’inviterait-elle pas à voir le brigandage social non comme un cliché nostalgique, mais comme une possible ligne de fugue vers des mondes enfin respirables ?
C’est ce que dit Sarah Haidar, qui convoque le fantôme de Hend U Merri, abattu par la police française en 1947 après avoir rançonné colons et merkanti (commerçants malhonnêtes) : « Cours, Hend, cours ! […] Traversez la ville comme une boule de neige et amassez toutes les blessures sur votre chemin, vous serez des milliers, des millions… Vous grimperez ensuite ces collines et vous fondrez sur ces palais et ces tours de contrôle… Nous voulions jadis échapper à la faim. Aujourd’hui, nous ne nous suffirons plus de la satiété ! »
[/Bruno Le Dantec/]