Expulser les délogés
CQFD : Comment s’est passée l’expulsion ?
Bibi : Depuis quelques jours, les flics nous harcelaient, tournaient autour du bâtiment. Ils cherchaient à savoir comment on s’était organisés en prévision de leur arrivée. Il y a même eu un inspecteur de la Bac, connu pour participer aux expulsions, qui a tenté de s’infiltrer dans la Commission de sécurité de nos voisins du GPS [Groupement pour la défense du travail social], un bâtiment occupé – et « légalisé » – par des travailleurs sociaux. Le pandore a été évidemment reconduit à l’extérieur…
Cumba : Une armada de flics rassemblant des policiers nationaux, municipaux, des gendarmes, des types de la Bac a débarqué à 6 heures du matin. Il y avait dans le bâtiment des familles et d’autres habitants. Des CRS de haute montagne sont entrés par les fenêtres. Tout ce qu’on avait préparé et barricadé n’a servi à rien. Quatre habitants ont eu le temps de grimper sur le toit. Un d’entre eux est monté sur une planche pendant que les trois autres tentaient de négocier avec les flics.
B : Une personne a été violemment frappée, une autre a été tasée à cinq reprises… Laurent : Pour l’instant, il n’y a pas de poursuites engagées contre les trois qui sont partis en garde à vue. À l’extérieur, les personnes qui étaient là en soutien ont essuyé les charges policières. Une copine a eu un poignet cassé.
La presse locale rapporte les propos du préfet selon lesquels vous auriez refusé toute discussion. Vous êtes désignés comme les seuls responsables de cette situation.
Marguerite : C’est faux ! Cela fait des mois qu’on essaie d’entrer en contact avec eux. Ils ont toujours refusé de nous recevoir.
L : Pour protester contre ces mensonges, nous avons occupé le lendemain une antenne locale du ministère de la Santé et de la Cohésion sociale.
B : On a demandé à une responsable de nous mettre en contact avec le ministère.
M : On avait déjà occupé ce lieu il y a deux mois, mais cette fois ils ont envoyé les CRS. Il y a eu plusieurs blessés.
Avant l’expulsion de la rue des Demoiselles, d’autres lieux avaient été expulsés sans aucune réquisition ni acte légal. Vous aviez alors porté plainte contre les forces de police.
Flora : Il n’y a eu évidemment aucune suite et cela n’a pas freiné les expulsions illégales alors qu’on avait toutes les preuves sur le fait que nous étions effectivement installés. Lors de la première plainte, il y a environ quatre mois, nous avons été auditionnés. Depuis, aucune nouvelle.
Des projets ?
F : On va évidemment rouvrir, on ne va pas en rester là. Toutes les familles ne sont pas relogées. Il y a eu des nuits d’hôtel – genre trois nuits renouvelables – proposées à deux personnes du Crea. Les huit familles ainsi que deux autres habitants précaires sont à droite, à gauche, dans des sleepings, des squats…
Comment voyez-vous votre rapport avec l’état ?
F : Ne pas en être dépendant. Il ne propose rien, il laisse crever les gens dans la rue, il expulse. On fait les choses en parallèle. On s’organise, on s’entraide.
L : Nous avons prouvé depuis qu’on pouvait complètement s’en passer. On ne demande qu’une chose : nous laisser le bâtiment à disposition. C’est tout.
Considérez-vous que le fait qu’il y ait des gens à la rue est de la seule responsabilité de l’État ou pensez-vous que tout le monde peut s’en préoccuper ?
C : Concernant les logements sociaux, c’est à l’État de s’en occuper. On est là pour le rappeler. C’est à lui de reloger les gens qui sont sans toit. Par contre, nous ne demandons rien à l’État. On veut juste vivre dans ce bâtiment qui est fermé depuis des années.
Vous n’êtes pas un groupe de pression, de protestataires. Vous prenez l’initiative, vous vous organisez…
F : On fait selon nos moyens et nos besoins. Mais il faut savoir qu’il y a aussi, entre les travailleurs sociaux, les familles, les précaires, etc., une grande diversité de points de vue. On essaie de faire avec toutes ces différences.
M : Au départ, il y a une volonté de sortir de l’assistanat, d’inventer une forme d’organisation qui tende vers des choses plus logiques entre nous. Nous luttons ensemble. Nous agissons concrètement. Nous ne sommes pas dans le bla-bla. Des bâtiments s’ouvrent et les gens sont logés. Des rencontres se font.
L : C’est simple : il y a des gens qui dorment dehors et beaucoup de bâtiments sont vides.
Hazar : Et puis surtout, il y a une envie commune de créer des alliances entre des gens qui en général ne s’allient pas, et qui, en principe, ne se rencontrent pas. C’est sûr que tous, on se pose des questions sur ce qu’on fait avec tous nos points de vue différents, dans quelles directions on va. Avons-nous besoin d’avoir une ligne politique commune à nous tous ? Si ces questions nous font souvent perdre du temps, ce sont aussi elles qui nous animent et nous font avancer…
F : Et on n’est pas tout seul. Le week-end après l’expulsion, d’autres collectifs venus de toute la France et qui font à peu près la même chose que nous se sont retrouvés à Toulouse. Ce mouvement est en train d’essaimer…
Cet article a été publié dans
CQFD n°103 (septembre 2012)
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Paru dans CQFD n°103 (septembre 2012)
Par
Illustré par JMB
Mis en ligne le 25.09.2012
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