Dossier école
De l’école alternative…
Le château de la Peyrouse se dessine au milieu de la Toscane auvergnate. A droite des chevaux, à gauche des pâquerettes sous un grand soleil de printemps. Nous sommes à quelques kilomètres de Clermont-Ferrand dans la nouvelle école Terre d’éveil. Ce jour-là, Christelle, une éducatrice, me reçoit tandis que les enfants jouent dans une cour qui ferait pâlir d’envie les « sardines marseillaises » tant elle est grande. Ils sont quatre garçons pour onze filles mais, pour l’instant, aucune ne joue au foot !
L’école possède un immense jardin où les enfants jouent avec de la terre et de l’eau. Ici un enfant peut faire son coin. C’est étrangement calme. Isabelle Delfaut, une parent d’élèves, me l’explique : « Il y a des moments où l’on a envie d’être seul. » La taille du lieu le permet, les salles sont impressionnantes ; larges, presque vides avec des grands poêles à bois. « C’est une ancienne école ici. Nous sommes deux éducatrices pour 15 enfants. » Un rêve, quand une classe à Marseille déborde avec 30 moutards surexcités dans des locaux conçus pour loger des bidasses.
Hors contrat, l’école ne perçoit aucune aide de l’état, ni aucun salaire pour les éducateurs.
A droite de l’entrée, une tisanerie est prévue pour les parents. Virginie Tailhardat et Mika Dambrun ont travaillé trois ans sur le projet avant qu’il ne se concrétise : « C’est expérimental et… éprouvant », me lâche cette professeure de collège qui fait 40 minutes de voiture pour emmener ses enfants. Les parents ont rénové le bâtiment et construit le matériel pédagogique. Christelle, l’éducatrice, précise : « Nous sommes entre les méthodes Montessori et Freinet, l’enfant va travailler là où il en est. » Les apprentissages fondamentaux tels que le langage, les mathématiques et la géographie sont enseignés comme la vie pratique avec une attention particulière pour le corps et les sens.
Jean-Marc vient d’emmener son fils de six ans, Féliz : « J’ai pas l’impression qu’il s’agit d’un troupeau de moutons », m’explique ce technicien du spectacle qui insiste sur le collectif. « Un collectif mais avec des individualités. Et puis Féliz est heureux ici, lui qui a besoin de se défouler, il a de la place. »
Tout cela se construit au jour le jour pour cette première année : « On est dans une démarche où on tente, on réajuste », ajoute Christelle tandis que Féliz croque dans une pomme pourrie. « Va plutôt la donner aux poules ! » lui indique-t-elle.
En ce début d’après-midi une petite réunion commence dans une autre salle où chauffe un gros poêle à granulés. On s’installe par terre pour évoquer les lancers de cailloux du matin. Les filles témoignent des pierres reçues. « Qui a lancé des cailloux ? – C’est Zian. – ça peut faire très mal ! » Tout le monde prend la parole en même temps. Christelle tranche : « On en reparlera en conseil. » Le conseil a lieu chaque jeudi. C’est lors de ce moment qu’on peut faire évoluer les règles dans la perspective d’une communication non violente, jamais acquise de suite.
« Les enfants sont moteurs ici. Il n’y a pas d’échec scolaire car pas d’évaluation, ni de notes », raconte Virginie. Donc pas de punitions, ni de brimades… Pour Jean-Marc, la démarche n’était pas frappée du sceau de l’évidence : « On se sent déstabilisé par rapport aux apprentissages. » Avec sa fille, restée dans le public, « on a des notes, des retours, les cahiers. » Par contre, elle apprend et oublie aussi vite. « Elle ne veut pas savoir autre chose que la leçon. Je me fiche qu’elle soit dans les meilleurs. Curieuse société où on apprend à être libres et égaux et, dans le même temps, à être le meilleur. » La méritocratie républicaine n’est pas, ici, en odeur de sainteté.
Un groupe, uniquement composé de filles, part dehors avec l’intervenante « Chant ». Elles entonnent un air créole à l’ombre d’un laurier. Un gecko se chauffe au soleil. « C’est un peu dur », dit l’une d’entre elles. On apprend le rythme : un geste égale un son. Moyan fait l’oiseau, Nina le cheval et Clémence la voiture ! Restés dans la salle, les garçons parlent d’oiseau noir, d’avion et de guerre. Le papy de l’un d’entre eux a fait la guerre dans un char. Feliz raconte que sa maîtresse le mettait au coin mais pas ici. Ici, on fait un « Parlons-en ! » Mais d’autres séquences existent comme le « Quoi de neuf ? », un moment où chacun peut présenter un objet, une idée. De nombreuses écoles du système scolaire classique fonctionnent avec ces méthodes aujourd’hui. « On peut évoquer les dinosaures, on n’est pas coupés du monde. »
Un autre matin du mois de juin, la classe est encore calme : douze enfants sont avec Élodie, une enseignante en disponibilité qui ne voulait plus « des programmes à terminer, de la concurrence, de l’élitisme, des enfants sur la touche et puis de cette inspection qui passe son temps à évaluer. » Alors qu’Élodie trace avec le doigt des lettres sur des carrés en bois avec Maitané, Féliz vient me montrer des tritons. Les crayons et les règles sont à disposition. Rien n’est hors de portée. Morgane rentre avec trois œufs qu’elle a trouvés dans la cabane. Elle les marque avec la date et les range. Ils sont vendus aux parents. « Il y a la caisse des sous. Je sais combien il y a : 59 euros quatorze cents. » Maitané a mis de côté les lettres connues puis elle range seule le matériel pédagogique. « L’enseignante ne transmet pas de connaissances ici », me glisse Virginie. Même symboliques ? Au moins dans la posture et l’accompagnement. « Le bien-être » c’est sûrement cela, le plus petit dénominateur commun des familles. Étonnamment, il ne règne aucun désordre dans les salles. Les enfants rangent les objets dont ils se servent. Morgane réalise une reproduction en pâte à modeler d’après une image. Sur le tableau on peut inscrire son prénom si on est allé voir la brebis, les têtards ou les poules. Dans un environnement préservé, il semble plus facile de déterminer des valeurs fédératrices pour le projet comme pour le collectif.
Certes, les enfants n’ont pas tous le même parcours. Clémence a fait « l’école à la maison » depuis qu’elle a cinq ans, Morgane aussi, tandis que Nina était à l’école du village, à Beauregard- L’Évêque. Mais c’est évidemment dans la volonté des parents que se trouve la raison d’être de cette école. Pour Isabelle, « c’est une démarche spirituelle, une démarche non violente ». Cela a commencé dès la naissance avec du chant prénatal, puis avec le « co-dodo »… leur fille a dormi avec eux jusqu’à dix-huit mois. Une situation plus répandue que l’on ne le croit mais que peu de parents avouent. Tous rejettent « la gestion des émotions ou des conflits qui sont dans l’école classique traités de manière autoritaire ». Par la suite, ils ont participé au café des familles, une association Parents-Enfants sur Saint-Dier-d’Auvergne.
« J’étais une excellente élève, ma mère était institutrice mais ma scolarité ne m’a pas ouvert à la créativité », regrette Isabelle, devenue tout de même enseignante de yoga. Par contre Emmanuel, son compagnon, est dyslexique. « Il a un rapport difficile avec l’école. C’est un autodidacte. Ce sont ses passions qui l’ont fait avancer dans la vie. » Alors, l’école expérimentale serait–elle un refuge pour parents inadaptés ? Plutôt des parents qui cherchent des pistes pour une autre vie. « Cela marginalise de se retirer de l’école », avoue-t-elle.
« C’est une école alternative, pourtant je ne suis pas fondamentalement contre l’école publique, mais il n’y a pas assez de remise en question. Les instits font ce qu’ils peuvent avec leurs moyens », constate Jean-Marc dont la mère fut une institutrice modèle Jules Ferry. Virginie ajoute : « Je viens du public et dans le public, les projets innovants, c’est lourd ! » Enseignante elle-même, elle ajoute : « Je ne supporte pas les élèves sur le carreau et j’ai 30 % d’entre eux perdus à chaque cours. Ma limite c’est 16 élèves. » Un rêve concrétisé à Terre d’éveil que doivent envier ses collègues du public.
Isabelle explique que si la chose est pédagogiquement épanouissante, elle est financièrement assez difficile à mettre en œuvre. « C’est plutôt des fauchés qui mettent leurs enfants à Terre d’éveil. » Il vous en coûtera 230 euros en moyenne par mois et 140 quand on est désargenté. Jean-Marc règle 230 euros tous les mois. « Un gros effort mais ce n’est pas un sacrifice. Le jeu en vaut la chandelle. »
Si l’école se veut différente, les horaires sont semblables mais aménagés autrement. Ce qui saute aux yeux, c’est la faiblesse de l’effectif même si l’école doit atteindre une vingtaine d’élèves à la rentrée prochaine. Les demandes sont essentiellement pour des garçons.
A Terre d’éveil, pas de tableau numérique mais est-ce pour autant une école « comme jadis » ? Difficile de répondre pour cette première année d’expérimentation. Certes, on y vit comme si l’école était ouverte sur le monde. « Je les sens heureux », me dit Jean-Marc. « Un soir, au coucher, mon fils m’a demandé : “y a école demain ?” Oui ! et il a explosé de joie. Pour moi, chez qui l’école était source d’angoisse, c’était merveilleux. » Son fils Féliz ne sait pourtant pas lire à six ans. Alors Jean-Marc, baba cool ? Il s’en défend. Les choses viendront quand elles seront mûres.
L’école Terre d’éveil vient de vivre sa première année d’existence. Nombre de choses ont été recadrées. Les éducatrices et les parents ont eu fort à faire. Située en dehors de l’éducation nationale, elle peut représenter un passage entre l’instruction à la maison et le système scolaire plus classique.
La suite du dossier École :
Cet article a été publié dans
CQFD n°124 (juillet-aout-septembre 2014)
Trouver un point de venteJe veux m'abonner
Faire un don
Paru dans CQFD n°124 (juillet-aout-septembre 2014)
Dans la rubrique Le dossier
Par
Mis en ligne le 05.11.2014
Articles qui pourraient vous intéresser
Dans CQFD n°124 (juillet-aout-septembre 2014)
Derniers articles de Christophe Goby