Instruction à domicile
Pom m’accueille dans une cuisine installée dans la grange. J’ai eu du mal à trouver, derrière le camion bariolé installé dans ce hameau du Livradois Forez. Elle prépare le repas et immédiatement m’indique qu’elle a accouché là, dans un bassin. Le ton est donné. Trois de ses filles sont à table et l’écoutent raconter son cheminement vers une instruction en famille car on se place du côté de l’institution si l’on parle de déscolarisation. Les mots sont importants. Pom a tout revu dans sa vie à commencer par ses accouchements. Son métier aussi qu’elle a quitté pour vivre en camion. Cette infirmière urgentiste a cessé le travail au troisième enfant : « Je n’avais pas envie d’accoucher à l’hôpital. » Entendez sur son lieu de travail. Première naissance et renaissance aussi. Mais Pom a plutôt l’impression qu’on lui a indiqué la porte. « J’ai quitté ce métier car je devais remplir des dossiers pour justifier mon activité. On a théoriquement une heure pour allaiter sur le lieu de travail mais, à l’époque, on m’a fait comprendre que ce n’était pas compatible. »
Pom a cherché du soutien auprès de l’association Les Enfants D’Abord (LED’A). Aux rencontres de LED’A, « les enfants parlaient avec aisance aux adultes. Ils ne sont pas dans la compétition. » La rencontre avec l’association permet aux parents d’envisager ce que c’est que de vivre 24h/24 avec ses enfants. Faire l’instruction à la maison mais sans se couper du reste du monde, un pari difficile. Pom a multiplié les rencontres de familles qui le pratiquent : une manière aussi de s’affirmer face aux inspecteurs qui une fois l’an passent contrôler les familles. « Je n’agis pas contre le système, je ne prends pas les gens de front. Les inspecteurs méconnaissent trop souvent les choix pédagogiques alternatifs. » Pour les familles ce passage obligé est souvent source de stress. « Ils ne peuvent pas s’empêcher d’évaluer nos enfants ! »
Au risque de désocialisation, Pom répond : « Notre aînée a aujourd’hui 15 ans et demi et suit une section Arts appliqués au lycée. Elle est interne. C’est un grand écart qui a demandé quelques ajustements, mais globalement elle l’a fait avec aisance. Elle a alterné cours par correspondance et “unschooling”. A un moment donné, elle a souhaité rejoindre un cursus plus formel qui lui permettait de donner corps à ses projets. »
« J’ai construit une bulle sécurisée », avoue-t-elle, refusant pêle-mêle l’école de l’entreprise, de la compétition de tous contre tous, du fichage généralisé. Aujourd’hui, son militantisme est davantage orienté sur les droits des femmes : « Je milite au planning familial et trouve important que les enfants reçoivent une information sur la sexualité. Trop de violence naît de la domination d’un groupe sur les autres. Je vise l’équilibre. » Entre refus d’une société qui s’éloigne du vivant et désir d’accompagner ses enfants selon les valeurs qui sont les siennes, Pom s’affirme donc « unschoolée ».
École en pyjama
Véronik Leray a participé durant des années à une école en pyjama, comprenez qu’elle a élevé ses enfants à la maison… mais pas tous ! « C’est un réseau de familles déscolarisées que j’ai animé durant neuf ans lorsque j’ai habité à Allègre en Haute-Loire. » Sa fille a des soucis à l’école. Elle la retire alors. « J’avais souffert aussi de l’école étant enfant. »
« Mes enfants ont passé leur bac playmobil très vite », aime à raconter Véronik qui a eu sept enfants dont quatre ont connu une déscolarisation. Si son premier fils vit sur les routes et a construit sa cabane à la ZAD, le second a choisi de devenir pompier. Ces deux-là sont allés à l’école. Judith, elle, voulait faire de la musique mais sans les études qui alourdissent les notes. Elle travaille aujourd’hui comme technicienne lumière sur Lyon. Abigael, graphiste en Italie et Yann, champion de pêche à la mouche, ont manifesté très tôt un rejet de l’école. Les deux derniers, Samuel au collège de Langeac et Aélin dans la Calandreta [1] du Puy-en-Velay sont certes scolarisés mais fâchés avec l’autorité. Véronik s’est donc consacrée entièrement à l’éducation de ses enfants en s’appuyant sur un petit réseau de parents ayant fait le même choix qu’elle. « J’ai squeezé ma carrière professionnelle mais nous n’avons pas réfléchi… c’est venu comme ça. » A 40 ans, elle a trouvé néanmoins son premier job sans cursus professionnel.
Au final, qui sont donc ces parents qui choisissent la déscolarisation ? Des ruraux isolés mais aussi des convaincus au spectre large tels qu’ils sont décrits dans le film Être et Devenir de Clara Bellar : « On avait un parent créationniste et des gens qui font pousser des chèvres, des anarchistes catholiques et geeks comme nous ! » Des familles pour lesquelles la question du rythme des enfants est importante, leur écoute aussi. Mais les réticences institutionnelles restent vives : à propos du film, le journal Le Monde regrette que l’on ne donne pas la parole aux adversaires de l’instruction en famille tandis que Télérama parle de « manifeste anti-école sans nuance. »