L’édito du n° 205
Colon un jour, colon toujours
« La France est plus belle car la Nouvelle-Calédonie a décidé d’y rester ! » s’est réjoui Emmanuel Macron, fier comme un sergent-chef, le 12 décembre à l’issue de la consultation qui se tenait dans l’archipel. Peu importe que ce scrutin pour ou contre l’indépendance se soit fait sans les indépendantistes, ce qui revient à dire sans l’écrasante majorité du peuple colonisé. Peu importe qu’ils aient annoncé boycotter le référendum s’il n’était pas reporté, entre autres parce que la situation sanitaire sur l’archipel, durement atteint par le Covid depuis septembre, ne permettait pas de mener une campagne digne de ce nom. Seul le résultat compte : 96,5 % des suffrages exprimés en faveur du « non », un score digne d’une république bananière qui permet à la France de conserver sa base arrière dans le Pacifique sud, avec son nickel, sa biodiversité, sa gigantesque zone économique exclusive, son emplacement géostratégique de premier choix, ses plages de sable fin, ses poissons multicolores et ses eaux azuréennes.
Plus belle, vraiment ? Plus belle la France qui a une fois de plus piétiné la culture des Kanak en refusant de reporter un vote que rien ne pressait, ce qui aurait permis de respecter un temps de deuil conforme à leurs traditions, après le passage du cyclone Covid-19 ? Plus belle la France qui met en péril trente ans de paix sur le territoire et sabote la sortie d’un processus de décolonisation inédit dans son histoire ? Plus belle la France qui toujours magouille, renie sa parole, tente de monter les communautés les unes contre les autres, tout ça pour défendre ses seuls intérêts ? Plus belle la France qui garde assujetti un peuple qui, depuis quarante ans au moins, n’a pas loupé une occasion de proclamer sa volonté d’émancipation, que ce soit en mettant (ou pas) un bulletin dans une urne ou en luttant pied à pied quand il le fallait ? Plus belle la France qui après pas loin de 170 ans de spoliations, pillages, barbouzeries, massacres… a décidé qu’il n’y avait aucune raison d’arrêter là sa glorieuse œuvre civilisatrice et d’ouvrir enfin un nouveau chapitre ?
Dans son discours de victoire hors-sol, tant il est évident que ce vote boudé par plus d’un électeur sur deux suscite plus de craintes qu’il n’en apaise, Macron n’aura pas prononcé une seule fois le mot « colonisation ». Mais il aura appelé, en passant, à la « nécessaire réduction des inégalités qui fragilisent l’unité de l’archipel » (ou comment promettre d’accomplir ce qui ne l’a pas été en plus d’un siècle et demi de présence française). Comme si le maintien de la tutelle coloniale n’était pas précisément la source première de toutes les injustices qui sévissent en Nouvelle-Calédonie. Injustices dont, ô surprise, les autochtones sont toujours les principales victimes, et de loin : dans ce riche territoire dont le PIB par habitant dépasse celui de la plupart des régions françaises, un tiers des quelque 112 000 Kanak vivent sous le seuil de pauvreté. C’est deux fois plus que dans l’Hexagone, et presque quatre fois plus qu’au sein des autres communautés de l’archipel.
Les Kanak, dont « la présence, au sein de la communauté nationale, est une chance inestimable », dixit un Macron pince-sans-rire, vont donc rester, encore un petit moment, captifs dans leur propre pays. Captifs au propre comme au figuré, depuis l’école où ils subissent de plein fouet l’échec scolaire jusqu’à la mort, où on leur refuse même un deuil qui leur ressemble. En passant par l’unique prison surpeuplée du coin où ils représentent plus de 90 % des détenus alors qu’ils ne constituent que 40 % de la population totale.
L’Empire qui ne veut pas mourir : c’est le titre d’un livre-somme actuellement en librairie sur l’histoire (et l’actualité) de la Françafrique1. Une sentence qui souligne à quel point la France, de Nouméa à Abidjan, de Dakar à Pointe-à-Pitre, a décidément bien du mal à se penser autrement qu’en puissance impérialiste.
Bienvenue en 2022. La France est toujours un État colonial. Et elle a une sale gueule.
1 Ouvrage collectif, Seuil, 2021.
Cet article a été publié dans
CQFD n°205 (janvier 2022)
Dans ce numéro vert de rage, un dossier « Pour en finir avec une écologie sans ennemis ». Mais aussi : une escapade en Bosnie en quête d’étincelles sociales, l’inaction crasse du gouvernement envers les femmes handicapées, l’armée qui s’incruste à l’école, des slips chauffants, des libraires new-yorkais atrabilaires, des mômes qui attaquent Disneyland…
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Paru dans CQFD n°205 (janvier 2022)
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Par
Illustré par Gautier Ducatez
Mis en ligne le 06.01.2022
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