Cet été... Que lire ? Que voir ?
Jacob, aristo de la cambriole
« Selon moi le criminel n’étant, au fond, qu’un honnête homme qui n’a pas réussi, il suffit d’inverser le postulat pour avoir la définition de l’honnête homme », écrit Alexandre Marius Jacob à Jean Maitron en 1949. Jacob affiche alors 70 balais. L’illégaliste anarchiste totalisait à son actif quelques centaines de cambriolages pour lesquels il purgera 20 ans de « guillotine sèche » à Cayenne. Avec au scénar Vincent Henry et aux crobards Gaël Henry, les éditions Sarbacane nous plongent dans les jeunes années de la figure de proue des Travailleurs de la nuit. Des tarins longs comme des péniches, des corps tout en élasticité, de juteuses salves d’humour (voir comment Jacob berne la maréchaussée en exhibant le furoncle de son cul), Alexandre Jacob – Journal d’un anarchiste cambrioleur tient le pari de mêler engagement politique et ambiance de gaudriole. Le 31 mars 1899, veille du 1er avril, Jacob et sa troupe détroussaient les chacals d’un mont-de-piété. Un début de carrière déjà plein de promesses.
Sébastien Navarro
De l’air !
Page après page, le crayon s’agite, souligne au fer rouge, frénétique. Pas un paragraphe qui ne suscite un trait enthousiaste. C’est évidemment bon signe. Un texte ainsi surchargé de gribouillis a forcément tapé juste. Ou plutôt : tapé fort. Ça tombe bien, Alain Damasio se veut balistique : « Pied-de-biche plutôt que plume. »
C’est pourtant un livre étrange que ce très court Le Dehors de toute chose, publié aux éditions La Volte et scindé en deux parties. D’abord s’avance un premier texte, condensé poétique des fulgurances du premier roman d’Alain Damasio, La Zone du dehors (1999)1. Ensuite, et c’est celui-ci qui nous intéresse ici, vient La Zone du dedans, réflexions sur une société sans air. Soit : trente pages acérées tapant là où ça fait mal, dans le bourbier technologico-politique où nous clapotons tels des poulets digitaux sans tête, cette « existence individuelle rendue accessible aux pouvoirs étatiques et commerciaux […] en pleine conscience et plein consentement du citoyen-consommateur ravi. »
La « zone du dehors », c’est ce qui a été colonisé, dénaturé, commercialisé, « data-isé », de nos déplacements à nos amours, pour ne laisser qu’une zone du dedans, un repli sans gloire sur de petites composantes individuelles. On ne nous impose plus le contrôle – adios 1984 –, on l’induit en fourbe. Et ça marche : « Le monde peut continuer à rester ce qu’il est tant que je peux gérer au quotidien mon monde, tant qu’on me laisse manipuler le tamagotchi des choix minuscules qui singent ma liberté. »
L’auteur de La Horde du contre-vent (2004, pur chef-d’œuvre) ne se contente pas de contempler ce champ de ruines molles. Il suggère des pistes pour le contourner, des jaillissements, des trouées. Modestement, il continue sa mission : semer des étincelles. De l’air, enfin.
Émilien Bernard
Emplois non pourvus
De ses rocambolesques aventures de chercheur d’emploi, Mustapha Belhocine, l’auteur de Précaire, a retenu cinq « nouvelles édifiantes ». Il éprouve son employabilité dans les secteurs les moins glorieux du travail avec une distance humoristique qui rend d’autant plus absurdes les efforts de la machine économique pour nous insérer dans son monde. Travailler dans une zone aéroportuaire ? Trop d’obstacles à franchir. Manutentionnaire dans un célèbre magasin de meubles ? Épuisé au bout de cinq minutes. Pourtant, Mustapha Belhocine, son Monde Diplo sous le bras, s’acharne à pourchasser l’emploi, mais ce dernier parvient toujours à s’échapper. Certes, dans les travaux les plus pénibles, notre homme peine à convaincre ou abdique devant des conditions de travail dignes d’une exploitation qu’on croyait disparue. L’auteur, apprenti sociologue « bourdieusien », parvient même à passer de l’autre côté du miroir avec son embauche à Pôle emploi où il est chargé de faire barrage aux assauts des chômeurs. Cette mission en première ligne le fracasse rapidement. « À la gestion du flux, y a du monde, des mécontents. » Après nombre de bullshit jobs, il insiste et tente les tests de médicaments, ultime recours pour sortir de la misère. L’actualité récente a montré tout ce que cette tentative pouvait avoir de définitif. Merci les patrons !
Christophe Goby
1 Travail mené par Benjamin Mayet.
Cet article a été publié dans
CQFD n°145 (juillet-août 2016)
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Paru dans CQFD n°145 (juillet-août 2016)
Dans la rubrique Bouquin
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Mis en ligne le 10.06.2018
Dans CQFD n°145 (juillet-août 2016)
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