Il est des journalistes qui ont bien compris les avantages de leurs fonctions. De ceux et de celles qui n’avancent pas masqués derrière une pseudo-objectivité, et qui assument pleinement leurs idées politiques. Eugénie Bastié, par exemple. Rejeton de la Manif pour tous, nous la rejoignons sur ce point : le journalisme est politique – et non bêtement informatif. Elle est de l’autre côté de la barricade : une ennemie, une vraie... et ça vaut toujours mieux qu’une fausse amie.
Contingence de rédaction ou stratégie politique, c’est en tout cas elle qui dégainait, le 2 juin 2016 dans Le Figaro, la note de la DGSI visant Julien Coupat, ses amis, et leur supposée « stratégie de la tension » [1]. Allégation paranoïaque des services de renseignements qui n’aiment rien tant que chercher des responsables. Pour Bastié, le journalisme permet un « équilibre entre le pouvoir et la liberté », commentait-elle aux côtés de ses mentors – les « réactivistes » Natacha Polony et Élisabeth Lévy – lors d’un débat sur le journalisme d’opinion.
Pouvoir et liberté de discriminer ami et ennemi. Ici se trouve tout l’intérêt de travailler dans cette vénérable institution qu’est Le Figaro. C’est sur la plateforme web du canard de Dassault, le FigaroVox, à droite de la droite de la droite, que Bastié a fait ses premières armes. À longueur d’articles anxiogènes, on épluche la lente décadence de la France, la montée de l’insécurité sociale et culturelle, la décrépitude de l’École, et la paupérisation des chefs d’entreprises surtaxés. Angoisse. L’identité française menacée par la montée d’un islam galopant tel Gengis Khan dans les plaines mongoles.
Pour Bastié, sans liberté d’expression, il n’est pas de liberté de louer l’Action française : on lui doit par exemple un beau papier sur l’histoire du groupe royaliste [2] et un reportage lors d’un récent colloque, qui lui permit de récuser, par la voix de son secrétaire général, l’étiquette d’extrême droite qui colle à la peau des monarchistes. Elle n’avoue jamais vraiment, maîtrise la périphrase, minaude. Ni à droite ni à gauche, selon ses dires, mais aux affinités éclairées. Est-elle une « camelote » du roi ? On ne saurait dire, mais elle partage avec les maurrassiens nombre de valeurs : catholique, anti-libérale, anti-mariage gay, « pro-vie », etc. Elle – qui se rêve au centre de l’arène médiatique – se trouve, au moins, très bien relayée sur le site des nationalistes à fleur de lys.
Pour se donner plus d’audience, elle co-fonde, avec une partie de la jeune garde ultra-conservatrice, la revue catholique et décroissante, Limite. Revue de l’écologie intégrale « en rupture avec la droite catholique libérale », avec pour objet la critique « de la civilisation libéral-libertaire dans son ensemble ». Il devient alors très difficile de ne pas penser à Maurras et son « nationalisme intégral ». « Écologie intégrale », un concept qui, à les écouter, leur vient de l’encyclique Laudato Si du pape François « sur la sauvegarde de la maison commune ». Non, mais ils seraient pas en train de nous prendre pour des buses, par hasard ?
Autre sortie remarquée d’Eugénie, son livre Adieu mademoiselle, la défaite des femmes, dans lequel elle conspue le néo-féminisme – les « wahabo-féministes ». Dans son pamphlet à la tonalité essentialiste, elle attaque l’égalitarisme que les « ayatollettes » tentent d’imposer : « Vous ne pouvez pas exiger du 50-50 partout [3] », expliquant par exemple que « l’égalitarisme, c’est la mort de la littérature » – « On peut se demander ce que Balzac aurait eu à écrire dans un monde égalitaire ! » [4] No comment.
Intellectuelle organique de cette vague anti-productiviste qui joue la confusion à droite, elle manœuvre plus ou moins habilement pour paraître inclassable. Mais vu le boucan qu’elle fait, il lui est difficile de cacher ses sympathies pour Patrick Buisson et Philippe de Villiers, qu’elle évoque au milieu des Orwell et Pasolini. Il va falloir s’habituer à elle, à sa clique, et leurs nouveaux clivages, tout en tâchant de ne pas leur laisser champ libre sur la critique culturelle. Pour les royalistes verts, ramènerons-nous les guillotines du vieux monde ?