2012, année de la loose

Un matin de plus à l’usine. Un matin de plus dans cette ambiance mortifère. Quelques ateliers fument à peine. C’est désagréable de continuer à venir bosser dans une usine en fin de vie, d’autant que l’agonie dure depuis des années et qu’on ne sait toujours pas quand et comment se déroulera la phase terminale. Vous allez me dire : « Allez, Jean-Pierre, c’est pas la mort ! » Ben, si.

Depuis l’accident du 29 septembre (voir CQFD n° 93) au cours duquel on a, une fois de plus, frisé la catastrophe, rien ne va plus. L’atelier de fabrication d’ammoniac, outre les stigmates de l’incendie, est bardé d’échafaudages et partiellement

par Efix

démonté. C’est gris, triste et sale. Un vieil atelier (plus de trente ans) qui ne donne pas envie.

En salle de contrôle, on se morfond sur le présent et l’avenir. Comme me le dit un copain : « On n’arrive pas à être optimiste ». Après l’incident, la direction avait dit que les travaux de réparation seraient effectués (pour cinq millions d’euros au minimum) et que l’unité redémarrerait en février, voire mars. Elle avait promis aussi qu’il n’y aurait pas de chômage technique, les retards en formation étant tels que le temps « libre » serait mis à profit pour que tout le monde soit à niveau. Aujourd’hui, les travaux semblent gelés en attendant des décisions prises au plus haut niveau.

Par ailleurs, les autres ateliers de l’usine, même neufs, fonctionnent mal, parfois très mal. Ce qui fait que les collègues s’occupent soit en nettoyant un atelier à l’arrêt, soit en courant faire des manœuvres stressantes d’arrêt ou de démarrage. Le tout avec des chefs eux-mêmes stressés… L’accident de septembre est dû à une petite vanne dont une pièce s’est éjectée. Pas grand-chose, quoi. Sauf que dans les conduites ce n’est pas de l’eau qui passe mais du gaz, de l’hydrogène et de l’ammoniac ! Chaque incident prend alors des proportions dramatiques.

La Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) demande des travaux de sécurisation importants avant tout redémarrage et c’est plus que normal. De leur côté, les élus locaux se posent des questions sur cet atelier dangereux qui occupe peu de salariés. En même temps « l’actionnaire principal » (comme ils disent) – Total – se pose aussi des questions sur le maintien de l’activité, alors que d’ici quelques mois de nouvelles unités basées en Égypte et Algérie vont commencer à produire et, ainsi, faire baisser le cours de l’ammoniac, ce qui rendra bon marché son transport vers l’usine, où il y a de quoi stocker.

C’est même le staff du pétrolier qui a pris les choses en main. Les décisions seront prises en haut lieu, au détriment de la filiale qui gère l’usine. D’où cette ambiance toute pourrie. Les collègues disent qu’on n’est plus dans une usine qui fabrique des engrais, mais dans des lieux où on fabrique des procédures. Car c’est de ça dont il est question, l’encadrement et la direction ne parlent plus que sécurité et environnement. Tout manquement aux règles est puni. Les agents de maîtrise se bouffent entre eux, des discours réacs prennent le dessus. Non, je vous dis, c’est pas la fête. Le No Future, c’est pas facile à vivre tous les jours. Que faire ? Redémarrer en risquant sa peau, arrêter l’atelier, l’usine, ou être vendu à un repreneur pas regardant ? Des perspectives pas folichonnes.

La DRH pense même activer une cellule psychologique pour que le personnel voie l’avenir plus positivement ! Aujourd’hui, lorsque je sors de l’usine, je croise Jean-Claude. Il me dit : « Moi, je m’en fous, je pars en retraite dans quatorze jours, mais vous, vous allez souffrir. »

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