Dix ans plus tard…
Le 21 septembre 2011, accompagné par quatre collègues du syndicat de la boîte, je suis descendu à Toulouse. Commémoration oblige, c’était pour les dix ans de la catastrophe d’AZF. On s’est retrouvés au rond-point du 21 septembre, lieu éminemment symbolique, où se rassemblent chaque année les associations des victimes de l’accident. Étaient également présents la Fédération chimie de la CGT et ses trois cents militants venus de toutes les usines chimiques et raffineries de France. Impressionnant de voir ces gens, de Dunkerque ou de Marseille, venus dire que les salariés étaient avec les victimes, puisque lorsqu’une usine saute, ils sont aux premières loges. C’était aussi pour dire que Total devait payer et que nous nous démarquions des propos de l’association des anciens d’AZF, ouvertement pro-patronale.
Au même moment, à quelques kilomètres de là, la mairie de Toulouse organisait un autre rassemblement, beaucoup plus médiatisé, qui proposait de réconcilier tout le monde, victimes, anciens salariés, et direction de Total dans le même sac. Ce qui, pour nous, était inconcevable. Comme l’avançait l’Association des sinistrés du 21 septembre dans un tract : « Il n’y aura pas d’arrangement », et l’on espère que le procès en appel prévu en novembre rendra, enfin, justice à toutes les victimes. Ce fut un grand moment de rencontres, d’explications, mais aussi de solidarité.
Une semaine plus tard, en ce matin du 29 septembre, vers 8 h 45, Stéphane m’appelle au téléphone de l’usine : « Il y a le feu sur le compresseur de synthèse ! ». Dans cette situation, la consigne est de rejoindre la zone de repli, le temps que les premières manœuvres de sécurité soient faites et que les pompiers interviennent. Je ne travaille plus directement sur ce lieu, mais je le connais bien pour y avoir bossé plus de vingt ans. Donc je quitte mon cagibi et je me rends rapidement vers le bunker où se trouvent la salle de contrôle et les bureaux. Sur le chemin, tout en surveillant sans cesse le lieu de l’incendie, j’entends une explosion et vois un énorme panache de fumée noire… Vite ! Entrer dans le bunker ! Auparavant, j’aperçois des salariés d’entreprises sous-traitantes qui s’enfuient en courant vers leurs voitures, peut-être avec raison. Un type, en haut d’une grue située près des lieux de l’explosion, bat le record de vitesse de descente. Par contre, d’autres, inconscients, restent dehors, les bras croisés, à regarder ça comme un feu d’artifice.
Dans le bunker, plus d’une cinquantaine de personnes s’entassent. Il y a beaucoup de stress, d’autant que cet atelier a connu des accidents graves, dont un que j’avais vécu de très près1, et que, dernièrement, plusieurs incidents sur d’autres matériels ont fichu la frousse à plus d’un. Les copains de la production en poste ce matin font les manœuvres sur leurs écrans. En regardant dehors par les baies vitrées, on voit de hautes flammes et différents panaches de fumée. On entend une deuxième explosion, moins forte. Le problème, dans cet atelier, c’est qu’on ignore si ça va progresser ou pas, d’autant qu’il y a des caisses d’huile pas loin ainsi que des bidons chargés d’hydrogène…
Heureusement, les collègues ont les choses bien en main et réussissent à baisser les pressions et arrêter les machines. De même, l’équipe de sécurité de l’usine vient à bout de l’incendie avant même que les soixante-dix pompiers de l’agglomération n’interviennent. Par contre comme ils étaient en première ligne, ils ont eu la peur de leur vie. Pendant un temps, il est question de salariés restés sur les lieux. Il n’en est rien, tout le monde est sain et sauf. Lorsque tout se calme, on compte quatre personnes qui ont fait des malaises. Dont une qui, à une minute près, se trouvait à l’endroit exact de l’explosion.
Une fois encore, on n’est pas passé loin. À l’heure où j’écris ces lignes, on n’a toujours pas les détails exacts – sans doute une tuyauterie d’hydrogène qui a lâché –, mais on sait que les dégâts sont très importants et qu’il y aura pour plusieurs mois de travaux. On se pose, une nouvelle fois, des questions sur l’avenir de l’atelier et du site.
1 Jean-Pierre Levaray, Putain d’usine, L’Insomniaque, 2002.
Cet article a été publié dans
CQFD n°93 (octobre 2011)
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Paru dans CQFD n°93 (octobre 2011)
Dans la rubrique Je vous écris de l’usine
Par
Illustré par Efix
Mis en ligne le 08.12.2011
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