Nuit Debout : « La grève, c’est relever la tête »
Entretien avec Laurent, chauffeur de bus RATP depuis 27 ans, Lutte ouvrière.
Je suis venu à République avec quelques potes chauffeurs, par curiosité pour le mouvement Nuit Debout, en plein climat de mobilisations. Tout le monde ne peut pas venir, les gens qui bossent habitent loin du centre de Paris, et même quand ils sont en grève, ils restent souvent chez eux. La loi Travail, ça dégoûte pas mal de monde, mais la colère générale n’est pas encore là. Beaucoup de travailleurs ne voient pas très bien comment cette loi va se traduire concrètement.
À la RATP, il y a 7 syndicats présents, des appareils très bureaucratiques qui passent beaucoup de temps à se critiquer les uns les autres. Pendant ce temps, il n’y a eu presque aucune information sur la loi Travail. Seule la CGT a fait un le job, et aussi Solidaires (qui s’est séparé de Sud à la RATP). On est 30% de grévistes, c’est peu, mais s’il y en avait autant dans tous les secteurs, on montrerait notre détermination. C’est un choix des directions syndicales de ne pas se mobiliser, l’idée est de ne pas affronter directement le gouvernement et de se cantonner aux problématiques localisées de chaque entreprise. Or beaucoup de gens attendent que leur syndicat leur dise si ce qui est en train de se passer est grave, et comme ce n’est pas le cas, rien ne se passe. Quelques non-syndiqués viennent aux manifs, c’est des moments motivants, ça gueule, c’est festif, on y voit la détermination des autres...
À la RATP, quand on veut faire grève, il faut lancer une « alarme sociale », c’est-à-dire envoyer un message à la direction pour dire qu’il y a un sujet de conflit, et il y a alors un délai d’une semaine pour constater le désaccord. Ensuite, il faut poser un préavis de grève cinq jours avant, puis individuellement, on doit confirmer par serveur vocal ou informatique 48 heures avant le jour de grève. Du coup, il est devenu plus difficile de débrayer les autres salariés ou de faire des piquets de grève pour embarquer les copains non syndiqués, car ils risquent des représailles pour ne pas avoir respecté la procédure.
Ce qui est bien à Nuit Debout, c’est que jeunes et moins jeunes partagent leurs idées, leurs expériences et leurs critiques. Quand je vois que les problématiques du travail sont abordées et que la question de la grève générale y est discutée, je me dis que tout ce qui se passe ici sert à quelque chose. C’est aussi l’occasion de renouveler les formes de la politique, de repenser la parole en AG ou les formes que prennent les manifs. Mais je ne pense pas qu’il faille opposer Nuit Debout aux syndicats : ils ont leurs défauts, mais les grèves restent une arme indispensable pour faire plier l’État et les patrons.
La principale difficulté, c’est le défaitisme. La grève, c’est se voir, s’organiser, relever la tête. Dans les boîtes, ça ne cause pas tant que ça entre les gens, qui ne sont pas forcément d’accord politiquement et qui ont leurs embrouilles interpersonnelles. Du coup, on parle de foot ou de météo, ça permet de ne pas aborder les sujets qui fâchent. On a donc grandement besoin de ces moments de mouvement social, car ça libère la parole et ça redonne espoir, que ce soit dans un dépôt de métros ou sur la place de la République.
Le plus important, ce n’est pas d’avoir la solution, elle n’est ni du côté des syndicats, ni des partis, ni de Nuit Debout. Le plus important, c’est de se triturer les méninges ensemble pour changer les choses et trouver les manières d’agir. Les gens de Nuit Debout peuvent participer à la grève générale, même quand ils ne sont pas salariés : chacun ici a des amis avec qui il peut discuter et qu’il peut embringuer dans la lutte. Et puis, même si c’est compliqué pour les gens de venir à Nuit Debout, il y a d’autres endroits où se retrouver : dans les quartiers populaires, dans les entreprises...
Cet article a été publié dans
CQFD n°143 (mai 2016)
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Paru dans CQFD n°143 (mai 2016)
Dans la rubrique Actualités
Par
Illustré par Ferdinand Cazalis
Mis en ligne le 11.04.2018
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