Mais qu’est-ce qu’on va faire de... Matthieu Ricard ?

Les têtes à claques, c’est pourtant pas ce qui manque ! De « gna-gna-gna-Finky » à Joffrin, en passant par Juppé… Au lieu de quoi, c’est sur le toujours sympatoche moine bouddhiste Matthieu Ricard que notre vindicte s’est abattue ce mois-ci. Après des études scientifiques très prometteuses en génétique cellulaire, il fait la route vers l’Inde et le Tibet en 1967, d’où il ramène le kesa ocre et bordeaux des moines bouddhistes et un goût prononcé pour les retraites dans les monastères himalayens. À partir de 1989, non content d’être devenu l’interprète français du dalaï-lama, il se fend de tout un tas de bouquins, d’un blog, de prestations télé, radio… Bref, son quotidien de méditations ressemble de plus en plus à une médiatisation classique. Son rire, sa modestie, sa bonhomie le propulsent au statut de « bon client ». Certes, il est un peu énervant, ce Ricard, à afficher son éternel sourire. Mais comment lui en vouloir ? Il ne jure que par la gentillesse, la compassion, le respect de tous et toutes jusqu’au plus petit des animaux. Le bonze français le plus fameux de France prend toujours la défense des plus faibles, même contre ses propres coreligionnaires birmans quand ceux-ci s’en prennent aux musulmans rohingas1.

S’il va donner ses conseils zen à Gala penser à quelque chose qui vous rend heureux et méditer »), Ricard a surtout un avis bien arrêté sur les problèmes économiques de notre monde moderne. Le problème, c’est l’égoïsme, l’individualisme, la quête sans fin de la réussite et du profit. Pas faux. À partir de là, la pensée de notre bonze part un peu dans tous les sens2. D’un côté, optimiste, il pense que les humains sont naturellement altruistes, et les altruistes naturellement plus forts que les égoïstes, entendez « les loups de Wall Street » comme il le dit lui-même. De l’autre, il souhaite que les économistes et les gouvernements mettent « en place des garde-fous pour réguler un système favorisant la coopération ». Son credo ? « Une sorte de label pour que ceux qui souhaitent investir dans l’économie “responsable” puissent le faire et être cotés en Bourse. » La même Bourse que celle des loups de Wall Street ? On a du mal à suivre… D’autant plus que, contempteur de la société matérialiste et de consommation, il prêche pourtant pour «  le microcrédit, le commerce équitable, les investissements responsables ou les banques coopératives » tout en clamant que lui qui ne possède rien est le plus heureux des hommes3. Bref, en économie, Ricard se fait le chantre d’un capitalisme altruiste et le prosélyte d’un marché boursier coopératif. C’est sans doute pour diffuser ces traits de génie qu’il se rend régulièrement au Forum économique de Davos, grand raout du capitalisme mondial ?

Pour atteindre ce paradis du capitalisme zen, le bonze croit que les femmes devraient prendre plus de pouvoir : « Les femmes ont une tendance plus naturelle au soin, on pourrait parler d’instinct maternel. Elles sont plus sensibles à la douleur d’autrui. » Cela devrait ravir chaque féministe…

Mais notre moine a aussi une vraie foi dans la science. Et c’est peut-être sur ce point qu’il nous fait le plus peur. S’appuyant sans retenue sur les neurosciences pour lesquelles il a servi de cobaye, il se fait le fervent défenseur des « sciences contemplatives » qui semblent n’être rien d’autre que l’étude du cerveau humain en méditation. Si ces études sont gentiment enveloppées de beaux discours pour aider les enfants à mieux coopérer à l’école, le fond reste avant tout de mieux comprendre comment contrôler l’esprit et le comportement humain. « On peut entraîner les gens à des choses éthiquement douteuses, tuer par exemple. De la même façon, on peut entraîner à l’ouverture à l’autre, la patience, la force d’âme, l’équilibre émotionnel… » Et personne, ni à Wall Street, ni à Davos, ni dans les labos, ne penserait utiliser ces recherches pour des « choses éthiquement douteuses », c’est pas le genre…


2 Voir l’interview assez surréaliste qu’il a donnée à Libération en août 2016. 
http://www.liberation.fr/futurs/201....

3 Tous ses droits d’auteur sont par exemple reversés à des opérations caritatives en faveur des orphelins. Il ne possède que deux paires de chaussures comme aiment à le rappeler nos chers médias. Moi aussi, mais personne n’en parle.

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Paru dans CQFD n°143 (mai 2016)
Dans la rubrique Mais qu’est-ce qu’on va faire de…

Par Julien Tewfiq
Mis en ligne le 05.07.2018