Management à l’ancienne
Oui, bon, je sais, le foot, marronnier de l’été sur vos écrans et même dans les pages de CQFD. Pourtant, le football est un sujet qui s’impose très souvent à l’usine et, dès cinq heures du mat’, ils sont nombreux à refaire le match de la veille devant le premier café pris dans le réfectoire. Il faut bien avouer que c’est un sujet de discussion fédérateur qui permet d’oublier les conditions de travail même si, en fonction des âges, il y en a qui se revendiquent de l’OM pendant que les plus jeunes affichent des T-shirts du PSG ou du Barça.
Jadis, dans l’usine, il y avait une équipe « corpo ». Quelle satisfaction pour une direction adepte des « challenges » à relever, d’avoir sa propre équipe portant les couleurs de la société, jouant toutes les semaines contre les équipes d’autres usines dans des stades régionaux. C’est tout à fait dans la culture d’entreprise : esprit de compétition, culte de la performance et paternalisme. Pour ce faire certains furent embauchés, non pas pour leurs compétences en chimie, mais parce qu’ils se débrouillaient correctement avec un ballon. Les joueurs étaient entraînés par le contremaître d’un atelier de fabrication de lessive aujourd’hui détruit : complètement dévoué à son équipe, il avait tendance à délaisser la production. C’était un vrai coach, même si à l’époque ce terme n’existait pas encore. Presque tous les coéquipiers se trouvaient dans son atelier. Ils bénéficiaient d’horaires très variables pour pouvoir s’entraîner, et de presque tous leurs week-ends pour participer à des tournois. Forcément il existait une certaine tension entre eux et ceux qui ne jouaient pas, tension aiguisée par le versement de primes exceptionnelles aux joueurs en fonction de leurs résultats.
Il y avait aussi des matchs inter-ateliers, davantage dans un esprit de foot de quartier. Il est même arrivé, lors de dimanches après-midi ensoleillés alors que l’atelier était arrêté et que le temps ne passait pas vite, que certains tapent du ballon dans le terre-plein d’à côté. Tandis que d’autres, voire les mêmes, taquinaient la pétanque, les fléchettes ou le paint-ball.
Cette pratique du foot a diminué au fur et à mesure du vieillissement de la population et des chevilles, genoux et autres ligaments bousillés.
De temps en temps, l’envie de recréer une équipe refait surface, notamment depuis l’embauche de quelques jeunes plutôt sportifs, mais comme les salariés s’investissent moins dans leur usine et ne veulent y rester que le temps de leur travail, ce n’est pas pour demain. Reste le foot à la télé.
Cette année, à l’usine, le Mondial a eu moins la cote que les années précédentes, pour des raisons de retransmissions de matchs sur des chaînes payantes difficilement accessibles à l’usine, mais aussi parce que nous avons été trop pris par les manœuvres de redémarrage des installations. Cela n’a pas empêché certains aficionados de trouver des biais pour se tenir au jus des buts et autres penalties. C’est grâce au foot si, désormais, la télé est partie intégrante des salles de contrôles. Hé oui ! D’année en année, de Coupe de France en Coupe d’Europe et en Mondial, il s’est toujours trouvé quelqu’un pour amener un téléviseur qui remplaçait avantageusement les transistors. Après le téléviseur portable à l’image pas toujours nette, ce furent les salariés qui se cotisèrent pour avoir une vraie télévision dans chaque atelier (avec installation d’antennes sur le toit des salles de contrôles par quelques collègues motivés).
Au début, la hiérarchie fit la chasse aux télés mais pas longtemps car, c’est comme en prison, la paix sociale passe avant tous les règlements. Et il vaut mieux des salariés regardant un match qui les tient éveillés plutôt que dormant dans un coin. Du coup, en plus de nos écrans de PC, nous avons aussi un écran télé, un peu planqué mais bien présent.
Voilà, c’étaient les bonnes histoires d’Onc’Jean-Pierre. Rendez-vous à la rentrée pour de nouvelles aventures et pour la dernière saison… Je vous expliquerai1.
1 Voir la chronique d’Onc’Jean-Pierre de ce mois-ci dans le CQFD n°125, actuellement en kiosque.
Cet article a été publié dans
CQFD n°124 (juillet-aout-septembre 2014)
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Paru dans CQFD n°124 (juillet-aout-septembre 2014)
Dans la rubrique Je vous écris de l’usine
Par
Illustré par Efix
Mis en ligne le 10.10.2014
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