Histoires de coulage

Avant d’entrer dans le vif du sujet, quelques mots sur la situation de l’usine après l’incident du 29 septembre (cf. CQFD n°93). Certains ateliers viennent tout juste de redémarrer mais l’atelier d’ammoniac, lieu de l’incendie, ne démarrera (peut-être) que d’ici février-mars. Pendant les deux derniers mois, on a eu le droit de la part de la direction et de l’encadrement à une intense propagande contre les inspecteurs du travail et l’administration qui « bloquaient l’usine et voulaient la fermer ». Faut dire qu’avec tous les incidents qu’on a vécus ces dernières années, une plus grande surveillance de l’Administration paraît pourtant normale.

par Efix

Bref. Ce n’est pas de ça dont je voulais vous causer. Comme dans la plupart des usines et sur nombre de chantiers, les vols de métaux se sont multipliés ces dernières années. C’est même devenu assez grave dans certains cas. Premiers accusés : les gens du voyage. Pourtant ce n’est pas aussi simple. Je ne sais pas si certains collègues pratiquent – ce n’est pas une chose que l’on crie sur tous les toits – mais on sait qu’il y a des entreprises sous-traitantes impliquées. D’autant que les patrons de ces boîtes laissent faire leurs employés parce que ce n’est pas leur matos et que les salariés améliorent leurs fins de mois sans que ça leur coûte. Du donnant-donnant, quoi. Du coup les gardiens doivent fliquer davantage les sorties de camionnettes.

La législation a changé également, et c’est devenu plus compliqué aujourd’hui de magouiller avec le cuivre ou l’inox. Désormais, le ferrailleur n’a plus le droit de payer en liquide pour du métal reçu, et toute personne qui vient à titre individuel ne peut en vendre que trois fois par an. Mais vu les cours qui s’envolent sur le marché mondial, les salaires en berne et les coups bas sur les prestations sociales, les retraites et autres, ce n’est pas demain la veille que ce trafic s’arrêtera. Dernièrement, lors d’un arrêt d’atelier pour rénovation, de nouvelles vannes ont été installées. Le lendemain matin, avant le redémarrage, les collègues faisaient une tournée de vérification et ont retrouvé toutes ces vannes… démontées ! Les boulons en inox qui les maintenaient s’étaient envolés. Ça n’a pas fait rire tout le monde. Autre cas, celui de ce type sur un chantier isolé, dont le boulot est d’installer des échafaudages. Il dit avoir trouvé par terre des boulons en inox qui traînaient (quinze kilos !), les avoir mis dans un sac, qu’il a jeté derrière le mur d’enceinte de l’usine. Ce qui est bête pour lui, c’est que deux gardiens passaient à ce moment-là. Le défendre n’a pas été facile. La direction de l’usine a demandé qu’il soit licencié de sa boîte. « Vous vous rendez compte, l’inox coûte cinq euros le kilo », s’est offusquée la DRH. Mouais, pas faramineux comme récup’… Le type s’est juste retrouvé interdit sur cette usine et n’a pas été viré. Content pour lui.

Enfin, il y a ces salariés d’une société de nettoyage industriel chargés d’assainir le sol d’un hangar d’engrais fermé depuis des années. C’est très pollué par des dizaines d’années d’accumulations de nitrates, phosphates et autres. Ils doivent aussi éliminer, avec l’accord de la direction, quelques poutres rouillées. Sauf qu’à quelques dizaines de mètres de leur chantier, il y a un drôle de stockage de ferraille également rouillée, et qui semble abandonné. Qui s’inquiètera de la disparition de ces quelques poutrelles supplémentaires ?

Le week-end suivant, ils vont chez un ferrailleur situé à quatre-vingts kilomètres du site, histoire d’être plus tranquilles pour la transaction. Ils avancent le camion et son chargement sous le portique et c’est là qu’une alarme retentit. Ils se regardent. « Merde, dit l’un d’eux. C’est quoi cette connerie ? »

Le patron de l’entreprise de récupération appelle aussitôt les flics. C’est la procédure, et il ne veut pas d’ennui. Après enquête rapide, les poutrelles taxées par la fine équipe avaient été démontées sur un ancien atelier de fabrication d’acide phosphorique. Le phosphate qui servait à la fabrication contenait de faibles particules d’uranium qui s’étaient accumulées au fil des années dans les structures métalliques (et sans doutes chez ceux qui y bossaient). La direction affirmant ne jamais avoir trouvé d’entreprise susceptible de dépolluer ces poutres, s’était contentée de les entasser dans un coin de l’usine. En ce qui concerne les pieds nickelés de la boîte de nettoyage, ils ont été virés, et risquent une grosse amende.

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