Le bon grain, la brute et le truand

Sur le papier, la réforme en cours au niveau européen sur la commercialisation des semences, était censée faire une niche acceptable aux variétés traditionnelles. Dans les faits, les semenciers industriels, bien introduits à Bruxelles, continuent à se tailler la part du lion.

En 1996, on comptait un peu moins de 300 000 cabines téléphoniques en France. Aujourd’hui, les 2/3 ont disparu. A Mosset (Pyrénées-Orientales), la cabine du village a évité la mise au rancart après avoir subi une mue inattendue : cabine à graines elle est devenue. « On a monté le projet il y a trois ans avec trois autres copines, raconte Gaëlle. L’idée de départ était de récupérer nos propres semences et de les échanger gratuitement. » Il y a trois ans, l’ancienne cabine a été transformée en lieu de stockage où les graines (fleurs, légumes, céréales, etc.) ont été mises à disposition de quiconque en a besoin. « Les gens sont autonomes, ils notent dans les registres d’entrée et de sortie ce qu’ils prennent et ce qu’ils emmènent. Chacun fait ses sachets. L’idée aussi c’est de partager les savoirs en matière de jardinage et de semences.  »

Anecdotique ? Gentillet ? C’est ce que pourrait penser le quidam débarquant dans ce petit bourg où quelques habitants ont encore chevillée au corps cette idée selon laquelle, avant d’être spéculative, la terre est nourricière. Pas sûr cependant que l’initiative fasse sourire les technocrates de la Commission européenne qui planchent depuis plusieurs années sur une réforme de la législation du commerce des semences. Rappelons cette évidence : en France, la liberté de semer des jardiniers et des paysans s’arrêtent là où commencent les droits de propriété des semenciers industriels. Dit autrement sur le site de l’association Kokopelli qui milite pour une « libération de la semence et de l’humus et la protection de la biodiversité alimentaire » : « chacun sait qu’en dehors du Catalogue officiel il est interdit de vendre, échanger ou donner, à titre onéreux ou gratuit, toute semence ou matériel de reproduction végétal. »

Le Catalogue officiel des espèces et variétés compile quelque 30 000 variétés sélectionnées en raison de critères de distinction, homogénéité et stabilité – le fameux test DHS. Jointe par CQFD, Blanche Magarinos-Rey, avocate chargée de suivre l’évolution de la réforme à Bruxelles pour le compte de Kokopelli, traduit dans un langage profane le jargon technique des décideurs européens : « Homogénéité cela signifie que les individus au sein d’une même variété sont identiques sur le plan génétique ; la stabilité s’évalue sur le plan commercial en ce sens où il faut s’engager à mettre sur le marché chaque année des individus conformes à la description d’origine. » Quant à la distinction, elle implique que la variété évaluée se distingue de celles existantes. « Pour les espèces de grande culture, il faut remplir en outre un critère de valeur agronomique et technologique, appelé aussi progrès génétique, qui impose de faire la démonstration que la variété candidate à l’inscription est meilleure en terme de rendement et d’utilisation technologique que les variétés qui existent déjà au catalogue. C’est une étude de mise en concurrence des variétés candidates à l’inscription. En fait ce dernier critère pour les espèces de grande culture fait la part belle à un critère de rendement qui pénalise les variétés traditionnelles.  » Des variétés traditionnelles qui, de par leur base génétique plus large et leur hétérogénéité, ne peuvent pas passer à travers les fourches caudines du test DHS. Conséquence d’une sélection aussi drastique : «  Le catalogue est devenu le pré carré exclusif des variétés modernes, sélectionnées par des techniques agronomiques modernes, et a rendu illégales toutes les variétés traditionnelles qui ne répondent pas à ces critères. »

Par Nardo.

En mai dernier, une affaire avait provoqué une petite émotion populaire : un maraîcher de Lavelanet en Ariège s’était vu infliger une prune de 450 euros par un agent de la répression des fraudes. Son délit ? Ne pas être en possession de la carte du Groupement national interprofessionnel des semences (Gnis) et avoir proposé à la vente des plants de tomates non-inscrits au catalogue officiel. Si ce flicage de la semence porte en lui-même une vision purement industrielle de l’agriculture, un de ses plus néfastes effets observés au niveau planétaire reste sa contribution à l’« érosion génétique » des plantes. La Food and Agriculture Organisation estime que 75 % de la diversité génétique des plantes a disparu depuis le début du siècle dernier. Or, une des premières conséquences de l’homogénéisation végétale et de la monoculture, tant promues par les experts européens, est une vulnérabilité accrue face aux ravageurs et autres maladies. D’où la nécessité d’infester les sols avec des doses toujours plus massives d’intrants chimiques censés protéger les plantes1. Ainsi boucle-t-on la boucle d’un ravage écologique qui n’en finit pas de se nourrir lui-même.

Paradoxalement, les prises de conscience ont du mal à faire le poids face à des lobbies qui entendent encore faire cracher à la terre de juteux retours sur investissement. «  La législation sur le commerce des semences a été mise en place en Europe dans les années 1960, poursuit Blanche Magarinos-Rey, si elle est en cours de révision à l’heure actuelle, tout indique que la révision s’inscrit dans un strict principe de continuité. La proposition de la Commission européenne, pilotée par la Direction générale de la santé et des consommateurs (DG Sanco), a été publiée le 6 mai dernier, après un arbitrage un peu difficile entre la DG Environnement et la DG Agri qui s’opposaient au texte et considéraient qu’il fallait faire une place aux variétés traditionnelles, aux variétés du domaine public. La DG Sanco, qui est infiltrée par le Gnis, n’a pas cédé. » Organisation placée sous l’autorité du ministère de l’Agriculture, le Gnis est le garant de l’organisation du marché des semences, graines et plants depuis 1941. Ouvertement pro-OGM et thuriféraire de ces biotechnologies qui ont contribué à la ruine des savoirs locaux et paysans, le groupement est le porte-voix de l’industrie semencière. Cela étant dit, qui le ministère de l’Agriculture français a-t-il mandaté pour rédiger le texte à la DG Sanco ? Isabelle Clément-Nissou, ancienne directrice des relations internationales du Gnis. « C’est cette dame qui a bloqué toutes les ouvertures proposées par les autres DG, on a vu ça lors des débats », insiste l’avocate avec pugnacité. Avant d’ajouter : « L’industrie semencière est à la DG Sanco et c’est elle qui rédige le texte. » Pour finir par conclure que « Sous un discours faussement progressiste, la proposition de la Commission est dans la droite ligne de ce qui est applicable actuellement. Les soi-disant brèches proposées au domaine public sont une supercherie. Par contre, le texte offre des facilités à l’industrie dans le cadre des autocontrôles à qui on peut faire confiance pour se tailler chaussure à son pied. »

Sur la place de l’église de Mosset, la cabine à graines est actuellement en pleine rénovation. Manque d’espace devant ce petit succès local ! à l’instar des pollens qui fécondent la vie à-tout-va, l’expérience, libre de tout droit, attend d’être reproduite ailleurs.

Contrefaçon

Le 20 novembre dernier, la loi sur les contrefaçons était adoptée au Parlement avec toutes les voix écologistes. Ne faisant pas de détail entre les parfums, les pièces automobiles ou les fringues, les semences se retrouvent embarquées dans le dispositif. Conséquence : le paysan qui conserve une partie de ses graines pour les semer l’année d’après peut tomber sous le coup de la loi si les plants concernés sont protégés par un certificat d’obtention végétal (COV). Le COV est un droit de propriété intellectuel qui implique pour tout utilisateur de payer une redevance au titulaire du droit, dans la majorité des cas : l’industrie semencière. En pratique, le paysan est censé racheter ses graines chaque année. Dans le cas contraire, il pourra désormais être reconnu coupable de contrefaçon. La délinquance jusque dans nos campagnes, il était temps d’être ferme.


1 Rappelons qu’avec plus de 60 000 tonnes/an, la France est le troisième consommateur mondial de pesticides.

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