En 1969, le guitariste Luther Allison propose Love Me Mama : compil de vieux standards du blues, passés au filtre désinhibiteur de la wah. Popularisé par l’harmoniciste Sonny Boy Williamson, Help Me est une supplique adressée à la femme aimée. À moins que ce ne soit le chant du cygne d’un camé à l’héroïne ou au whisky de contrebande. On n’est jamais sûr de rien avec les métaphores des bluesmen. Tandis que la basse invite à la transe, la wah lâche les bulles d’un condamné à la noyade. Gémissements en manque d’air. « You got to help me darlin’, I can’t do it all by myself. » Le guitariste Charles « Skip » Pitts est en studio en 1971. Avec d’autres musiciens, Funky Skip échafaude la B.O de Shaft, pépite de la blaxploitation, sous la houlette de Isaac Hayes. Il s’agit de trouver le bon tempo pour coller à la démarche du flic déambulant dans les rues de Harlem. Skip teste sa wah pedal : la main droite gifle les cordes, la gauche les bloque ; sous le talon, la pédale contient l’implosion urbaine. Scotché, Hayes bondit : « Continue à jouer ça ! Continue à jouer ce riff ! » Ségrégation, drogue : Curtis Mayfield n’a cessé de dénoncer les fléaux décimant la communauté noire. En contrefort de sa voix cristalline, la wah a fait office de frangine à la fois taquine et complice. L’album There’s no place like America today (1975) s’ouvre par « Billy Jack », complainte sociale brodée sur une mort violente et forcément prématurée. La wah est là d’entrée qui retient ses sanglots avant de les lâcher par salves. On dirait des cris avortés. Une douleur primaire ressuscitée et qui s’adresse à tous.
Bien plus tard, en 2005, la boucle sera bouclée grâce aux feulements de la Franco-Béninoise Mina Agossi. Malaxant et torturant ses cordes vocales, elle régurgitera les fulgurances psychédéliques de la wah lors d’un Voodoo Child réinscrit dans son terreau africain. Résonances d’un tribalisme toujours fécond. Cry baby.
[/Sébastien Navarro/]