Grève : Poste jaune, peste noire
Sur un bout de trottoir menant à la poste de Rivesaltes, quatre factrices s’échinent à mettre sur pied une espèce de dais haut de 2,5 mètres. La région étant réputée pour ses rafales de vent, tout l’enjeu est de caler le machin pour éviter qu’il ne décolle au premier coup de tramontane. Juste à côté, une tente verte avec un écriteau « Facteurs en grève – Grève de la faim » sert de refuge à Augustin. Le 24 mai, ce dernier a décidé de ne plus s’alimenter. La raison ? « La grève de la faim, c’est pour montrer avec quel mépris la Poste nous traite. »
Depuis le 30 novembre dernier, ils sont une douzaine de postiers à avoir cessé le travail pour protester contre des conditions de travail de plus en plus dégueulasses. Deux ans auparavant, la poste de Rivesaltes imposait à ses agents une violente restructuration où se conjuguaient dégraissage d’effectifs et alourdissement des tournées. « En 2013 ils ont supprimé trois tournées et refilé des bouts de ces tournées à chacun », raconte Laura. Dans le métier, on appelle ça les « sécables ». Une surcharge de travail tout bénéf pour l’employeur mais d’une perversité redoutable pour les trimeurs. Laura a déserté le turbin au risque d’y laisser sa santé : « Ma tournée est passée de 18 kilomètres à 56. C’est une des raisons pour lesquelles j’ai débrayé.
– 56 bornes ! s’étouffe Dominique, un collègue. Ils t’ont filé la bagnole au moins ?
– Même pas. Toute façon, avec la voiture tu te pètes le dos. Monte, descend, monte, descend… Plein de collègues ont chopé des hernies discales à ce régime-là. »
Au bout de ces longs mois de lutte, les douze ont réussi à faire plier leur direction sur nombre de revendications : embauche de CDI territoriaux et conservation d’une tournée. Restent deux points noirs : le paiement de certains jours de grève (dimanches et fériés) et les sanctions disciplinaires qui planent sur la tête d’un agent, Alexandre Pignon. La nuque sur le billot d’un conseil de discipline, le militant cégétiste risque deux ans d’exclusion de fonction. Sa faute impardonnable : avoir été un des leaders de la lutte. Le syndicaliste pugnace était déjà sur la liste noire de la direction avant le mouvement, mais en face la solidarité ne faiblit pas. Fabrice, Sud-PTT : « Ils sont partis à douze en novembre et sont toujours douze aujourd’hui. Ils trouvent insupportables qu’un seul soit condamné. » Sur les jours de grève non payés, Augustin explique que, lors de précédents débrayages, la Poste versait une « quotité » aux grévistes, soit l’équivalent d’un RSA, pour subvenir à leurs besoins. Sauf que là, la donne a changé : « On a des collègues qui ont des enfants à charge, ils ont eu zéro au niveau salaire. » Laura, qui a reçu un certain temps cette quotité, se retrouve avec une ardoise de 1 200 euros à rembourser… alors qu’elle ne touche plus un rond depuis des mois. Quand on lui demande de résumer à grands traits les bienfaits de la privatisation, Fabrice lâche : « Intensification et déshumanisation du travail. On veut faire de nous des robots qui distribuent le courrier. »
Cet article a été publié dans
CQFD n°144 (juin 2016)
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Paru dans CQFD n°144 (juin 2016)
Dans la rubrique Billets
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Mis en ligne le 22.03.2018
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