Mauvais genre

Féminisme Debout : Oui à la non-mixité !

Paris

Après un mois de mars dense en manifestations et l’émergence des premières Nuit Debout, je me suis rendue à Paris en avril. J’étais plutôt impatiente d’aller voir ce qui se passait sur l’effervescente place de la République.

C’est l’après-midi avant la grande AG, je me faufile d’un groupe à l’autre, en découvrant les différentes commissions présentes (féminisme, éducation, économie, écologie, constitution...). J’écoute ce qui se dit, mais je papillonne, je voudrais être partout à la fois. Je choisis de m’arrêter à la commission féminisme. Sans doute parce que je tourne autour du sujet depuis un moment sans le prendre à bras le corps. Ces derniers temps, j’avais de plus en plus de discussions autour des questions du genre, de la place des femmes dans la société, dans la rue, dans le couple, le travail, le sexe... Il y a quelques années, je m’étais aussi intéressée aux représentations du sexe féminin dans l’art. J’avais abandonné ce travail, non sans regret.

Je suis curieuse. Attentive. J’écoute et j’observe le petit groupe que nous constituons. Au début, nous sommes une petite dizaine. Assez rapidement, des gens s’arrêtent, la commission féminisme suscite un intérêt certain des hommes comme des femmes, toutes générations confondues. On y parle entre autres de sexualité, de prostitution, de prise de parole en public, de contraception, etc. Et de la nécessité ou non de réunions non mixtes.

Cette notion de non-mixité m’est un peu étrangère. Au départ, je ne comprends pas bien de quoi il est question, et puis, après les débats et arguments développés, cela devient plus clair, cohérent, légitime.

Une fille nous explique que les réunions non mixtes sont un outil d’émancipation qui permet de libérer la parole des femmes entre femmes. Christine Delphy1 est citée de nombreuses fois comme référence. Elle poursuit en expliquant que dans un rapport de domination, quel qu’il soit, l’opprimé ne peut pas s’exprimer sur l’oppression qu’il subit en présence de l’oppresseur. En effet, on imagine mal une réunion syndicale en présence de patrons. C’est un outil et non une fin en soit. Certaines n’adhèrent pas à cette idée, parce qu’elles trouvent que c’est une forme d’exclusion à l’égard des hommes. Il est rappelé à plusieurs reprises que la commission féminisme organise aussi et principalement des réunions mixtes où les hommes sont les bienvenus, les réunions non mixtes se limitant à 1h30 par jour.

Je suis revenue plusieurs jours à la commission féminisme, j’ai assisté à des réunions mixtes et non-mixtes. Le temps de ces fameuses réunions non-mixtes, qui ont suscité quelques émois dans la presse2, était en fait passé à expliquer aux hommes le pourquoi de la nécessité d’un temps de non-mixité. Certains hommes avaient même des réactions assez violentes.

Afin d’apaiser les tensions et de dissiper l’incompréhension, une fille propose de former un autre groupe à côté pour expliquer ce principe de non-mixité à qui souhaite en savoir plus, afin que la réunion non mixte puisse se poursuivre dans de bonnes conditions.

Mais certains n’en démordent pas et restent plantés là. Un homme crie haut et fort au scandale : «  J’ai le droit d’être là, c’est une place publique, je reste là si j’ai envie de rester pour écouter. » Il défend sa position comme par principe, se sentant privé d’un droit (ou d’un privilège ?). En monopolisant l’attention, il ne se rend même pas compte qu’il couvre la voix d’une jeune fille racontant le viol dont elle a été victime.

Un peu plus tard, je suis gênée par deux jeunes hommes derrière moi : ils font des commentaires, des blagues, ou bien discutent d’autre chose. J’hallucine complètement lorsque j’entends l’un d’eux glisser à l’oreille de l’autre quelque chose comme : « Toutes ces filles, c’est que des nanas qui n’ont pas trouvé de mecs pour leur lécher la chatte. » Le regard d’une voisine assise à côté croise le mien, atterré. On a bien entendu la même chose. Pourtant on ne dit rien. Je me sens lâche et en colère de ne pas être capable de réagir. Encore une « blague » bien sexiste qui n’est rien d’autre qu’une forme de domination masculine et qui me semble illustrer merveilleusement la nécessité d’un temps de réunion en non-mixité.

J’aurais aimé prendre la parole pendant les réunions, mais il m’aurait fallu plus de temps, et sans doute que je me serai sentie plus à l’aise en petit comité et en non-mixité. Finalement, pour moi, il me semblait très important que ces réunions aient lieu ici dans l’espace public. Car, en effet, elles permettent à des femmes comme moi, non militantes mais sensibles au sujet du féminisme, d’écouter des discussions trop souvent réservées à des groupes militants plus ou moins accessibles.

Par Caroline Sury.

Marseille

J’étais très enthousiasmée par ces échanges amorcés à Paris. Je cogitais beaucoup. Un tas de questions se bousculaient. J’avais envie de rapporter ces expériences de la commission féminisme à la Nuit Debout et de les partager avec mes proches.

Mais la plupart du temps, lorsque le mot « féminisme » était lâché, je sentais une pointe de suspicion ; et quand j’abordais la question de la non-mixité, c’était clairement le mot de trop. Sans même me laisser le temps de raconter jusqu’au bout mon histoire, j’avais droit à quelques bons vieux clichés : « Mais le féminisme c’est un peu daté non ? Depuis 68, quand même, les femmes ont beaucoup plus de droits, il faut arrêter avec ça ! Et puis, la non-mixité, c’est une histoire de femmes ultra radicales qui mettent en place une stratégie d’exclusion des hommes. C’est de la misogynie inversée, donc c’est absurde. Elles font exactement ce qu’elles reprochent aux hommes. » Cela irrite, ça énerve, ça suscite de vives émotions. Un sujet sensible, quoi !

Je me sens acculée à convaincre encore certains et certaines de la nécessité d’être féministe aujourd’hui. Je dois argumenter, mais je ne suis pas très forte pour ça. On me demande des preuves, alors j’essaie de prendre quelques exemples simples : la différence de salaires à poste égal, la différence qu’il existe entre la place des hommes et des femmes dans l’espace public, le temps de prise de parole, etc. Je me retrouve à devoir me justifier de penser que la société est encore façonnée par et pour les hommes. Il existe une forme de déni du sexisme jusque chez les femmes.

Ces dernières me semblent mal à l’aise avec la notion même de féminisme. Elles le sont pourtant pour la plupart, féministes, dans leur quotidien, sans toujours l’identifier ou le revendiquer. Ce qui revient souvent, c’est la volonté de ne pas être assimilée à une victime du fait d’être une femme.

Pour les hommes, bien que certains soient plus sensibilisés que d’autres à la question, cela reste majoritairement difficile pour eux de prendre conscience de cette place dominante qu’ils occupent au sein de la société, et encore moins de se défaire de ces privilèges inscrits culturellement depuis fort longtemps. C’est ce qu’on retrouve dans la posture du «  c’est pas moi, c’est les autres ». Un refus de considérer que le genre est une construction sociale à laquelle nous sommes tous soumis. On préfère se voir comme des individus libres non assujettis à ces normes culturelles.

Après toutes ces aventures et ces petites claques, je suis décidée à continuer à réfléchir là-dessus. Mon (court) passage par la commission féminisme m’aura permis d’appuyer mes convictions personnelles et de passer à un champ politique par la rencontre avec le collectif, et l’échange autour d’outils (références, ateliers, etc). Le féminisme reste un vaste chantier. Créons des ouvertures, des espaces de discussion : il y a encore tant de choses à en dire et à faire ensemble.


1 À lire : La non-mixité : une nécessité politique ou encore : De l’utilité de la non-mixité dans le militantisme.

2 Le Monde du 21.04.16, par exemple.

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Paru dans CQFD n°144 (juin 2016)
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Par Doriane Grey
Illustré par Caroline Sury

Mis en ligne le 01.08.2016