Fête tes morts !

On n’allait pas laisser les morts au petit Jésus, si ? Sur l’île des Pendus, au « large » de Marseille, une bande de zigues vendus au diable a débarqué en canoë pour brûler l’ennui, le rance, et un totem mortuaire. Au son de l’orgue de barbarie.

Avant même que la fête ne commence, les quelques mots échangés avec une passante avaient donné le ton : « Mais c’est le diable que vous célébrez ! Pourquoi ne fêtez-vous pas plutôt Jésus, le prince de la vie ? » Intriguée par les masques pendus au fil à linge, par les flèches de scotch blanc collées avec parcimonie dans les rues du quartier pour s’assurer que les curieux arrivent à bon port, et peut-être aussi par les dizaines de morceaux de bois peints en blanc accumulés sur les rochers, elle avait commencé par s’enquérir poliment du motif de ce qui se tramait ici. « C’est la fête des morts, madame ! », lui avait-on répondu avec entrain, sans se douter un instant de la tournure que la conversation allait prendre…

Dix heures plus tard, malgré la fatigue, personne ne regrettait vraiment d’avoir défié le diable. La célébration de la fête des morts eut lieu sur la bien-nommée île des Pendus, au large de l’ancien village de pêcheurs de Malmousque, à Marseille. Au large, c’est beaucoup dire : à tout le mieux, une grosse centaine de mètres séparent l’île de la côte – juste assez pour une traversée du Styx. Les fêtards masqués étaient invités à choisir un morceau de bois et à l’associer à un mort de leur connaissance, avant de rejoindre l’île pour l’ajouter aux autres et faire ainsi grossir une sculpture-totem improvisée. Du milieu de l’après-midi jusqu’à minuit, les passages réguliers du canoë rythmèrent la fête en déposant au compte-goutte de nouveaux participants sur l’île. La nuit tombant, les explosions orageuses se mirent à éclairer la mer. Il fallait voir l’ambiance qui s’installait petit à petit sur notre bout de rocher, à la lumière des torches artisanales et au fil des « Accostaaage ! », lancés par les valeureux rameurs-passeurs… qui luttèrent de leur mieux contre l’obscurité marine à grand renfort de lampes frontales. Lorsque le totem finit par s’enflammer, au son de l’orgue de barbarie ou de la scie musicale, les sourires et les regards disaient bien le plaisir d’être là, à la pirate, sans enjeu ni cadre formel.

La joyeuse bande à l’origine de la fête avait en effet décidé de ne pas s’encombrer de demandes de financements ou d’autorisations. Peut-être pour se détendre un peu en ces temps de rigidité marseillaise ; certainement, aussi, pour vivre la situation sans en anticiper le déroulement, sans se fixer d’objectifs et sans attendre de résultats. Qu’importe – ou tant mieux – qu’il n’y eût pas grand chose de prévu pour cette fête des morts : inventer des rituels incongrus au fur et à mesure d’une vraie fausse cérémonie, et se prendre à y croire sans trop de sérieux, voilà ce qui comptait aux yeux des participants. Personne, d’ailleurs, ne songea à poser la question du pourquoi de tout ça… Alors oui, la chaleur tranquille de ce premier novembre orageux mais toujours propice à la baignade sentait le bonheur simple et le défi rigolard. Et le sentiment était largement partagé d’avoir fait, en bons païens, un joyeux pied de nez aux bigots et aux étriqués de tous bords.

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