Sport populaire contre spéculation

Un autre sport est-il possible ? À Rome, les centres sociaux occupés proposent des activités dans les quartiers populaires où les structures font défaut. Jusqu’au jour où le propriétaire de l’espace abandonné redécouvre un intérêt pour son bien et convie la police à la fête. Reportage à Scup : Sport e Cultura Popolare !

Non loin du centre historique et touristique de la ville éternelle, les quartiers populaires traduisent une autre réalité. La crise du logement1 et le renoncement de l’État à proposer des structures sociales accessibles ont abouti à l’émergence d’une forme d’occupation nouvelle, autogérée et horizontale. La capitale italienne compte aujourd’hui une centaine de centres sociaux, comme le Corto Circuito ou le Forte Prenestino, qui a fêté ses 30 ans le 1er mai dernier. L’activiste italienne Silvia Corti définit les Centri Sociali Occupati e Autogestiti. (CSOA) comme « les endroits où l’on expérimente une nouvelle forme d’organisation de vie, émancipée des logiques du système capitaliste ». À San Giovanni, quartier voisin du centre où les projets d’aménagements urbains altèrent toute sociabilité, le centre social Scup occupe depuis trois ans un bâtiment inutilisé par son propriétaire. Les questions relatives à l’organisation de l’espace – activités, manifestations, etc. – sont débattues et votées lors de l’assemblée de gestion.

Scup met en place un espace d’échanges où se dispensent entre autres des cours de soutien scolaire, de langues, de journalisme, de musiques, etc. Un marché écologique et populaire, « écosolpop », s’y tient tous les mois, et promeut une agriculture saine et abordable. Dans la palestra popolare2, on danse le hip-hop, le tango ou la samba et se pratiquent des arts martiaux, comme la boxe ou la capoeira. D’autres activités sont accessibles : yoga, jonglage, méditation et parkour. Tout comme le sport marchand est à l’image de notre société capitaliste, le sport pratiqué à Scup est le reflet de cette société inclusive et autogérée.

Maître de capoeira à Scup, Giuliano enseigne depuis plus de 20 ans dans les espaces occupés : « Ici le prix est bas, si tu ne peux pas payer tu me donnes moins, ou tu me donnes rien ou tu me donneras plus tard... En club, si tu ne peux pas payer tu ne pratiques pas. Je pourrais enseigner dans un club avec de belles installations et gagner plus d’argent, mais ça ne m’intéresse pas d’enseigner dans un cadre où on t’exclut pour des raisons financières. »

Le sport moderne idéalise un culte de la performance et une mise en compétition qui se retrouvent dans notre société individualiste et sélective. Les retransmissions télévisées imposent une pratique différenciée entre hommes et femmes à travers une iniquité de temps d’antenne éminemment sexiste. À Scup, le sport est un moyen de lutter contre les discriminations, c’est pourquoi le sport popolare et principalement les arts martiaux se pratiquent dans les centres sociaux le plus souvent sans distinction de sexe ou de niveau. Giuliano ajoute : « Le sport est aussi un moyen de connexion avec le territoire et un moyen d’intéresser des gens qui n’auraient jamais mis les pieds dans un centre social pour des raisons politiques. »

Mais, le 7 mai 2015, la police expulse les occupants de Scup car le propriétaire souhaite y bâtir un centre commercial3. La construction de la nouvelle ligne de métro a fait monter le prix de l’immobilier et avec, l’avidité pour cette propriété qui auparavant ne l’intéressait guère. Tandis que les tractopelles démolissaient le centre social, l’assemblée de Scup se fédère avec les habitants du quartier et membres d’autres centres sociaux romains en une assemblée citadine. La mobilisation d’environ 200 personnes se mua en un cortège – encadré par la police – pour dénoncer la spéculation immobilière qui place le profit avant les nécessités communes. Mobilisée ce jour là, la mère d’Arturo, quatre ans, témoigne : son fils autiste pratiquait la capoeira à Scup avec des bambins du même âge tandis que l’école maternelle l’avait refusé, prétextant qu’aucun plan d’inclusion n’avait été mis en place par la commune.

Réussissant à se jouer des forces de l’ordre, la manifestation sauvage a abouti à l’occupation d’un nouvel espace, repéré quelques mois auparavant. Le jour même de son expulsion, Scup renaît à un jet de pierre, toujours dans le quartier de San Giovanni, dans un dépôt de marchandises abandonné depuis une quinzaine d’années, appartenant à la société de chemin de fer. Pendant le travail de réhabilitation qui suivit, les activités furent temporairement dispensées en plein air dans le parc voisin. Après une campagne de dons – le nouvel espace nécessite un désamiantage –, Scup organisait un événement de réouverture et fêtait ses trois ans d’existence, le 21 mai 2015. Aujourd’hui, le centre social a repris son activité, mais son gymnase populaire est de nouveau inquiété par les pouvoirs publics4.

Fondé dans les centres sociaux romains, le réseau « diritto alla città » revendique le droit à la ville en favorisant une sociabilité de quartier ouverte à toutes et tous. Toujours menacés, ces espaces autonomes luttent contre l’uniformisation des procédés capitalistes d’urbanisation en proclamant « Roma non si vende ! ». Rome n’est pas à vendre !


1 À Rome 7,5% de l’immobilier est pourtant inutilisé.

2 Gymnase populaire situé au sein du centre social.

3 D’après les membres de l’occupation, la police aurait été appelée par le propriétaire et serait venue malgré l’absence de mandat légal l’autorisant.

4 Pour continuer de pratiquer leurs activités, les centres sociaux devront bientôt s’acquitter d’une somme qui les menace d’extinction.

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