Déambulation à Saint-Étienne
Un carnaval de l’inutile pour se gausser des grands projets
(C’était y a un an dans “CQFD”...)
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Le soleil perce doucement à travers le voile de nuages. La journée est déjà bien entamée et toujours pas de pluie à l’horizon : déjà réjouissant pour un samedi d’hiver ordinaire à Saint-Étienne, le point météo l’est encore plus pour le joyeux groupe réuni devant la chambre de commerce et d’industrie (CCI) de Saint-Étienne. Alors que des grappes de participant.e.s déguisé.e.s continuent d’affluer, deux chars font leur apparition. Le premier représente une pelle mécanique, affairée à transformer un paysage rural touffu et organique en un espace ordonné et fonctionnel – logements réplicables, bureaux, commerces et prison – tandis que le second, géant de pierre à l’air menaçant, marteau en main, est barré d’un grand « Groupe Delmonico-Dorel : dégage ». Le cortège s’ébranle assez rapidement, étoffé par un camion sound system et une caravane proposant des crêpes à prix libre. une banderole se déploie en tête : « Faisons leur fête aux puissant.e.s ». Adresses ciblées et sans équivoques, couleurs vives, rigolades et dérision : bienvenue au premier Grand carnaval de l’inutile !
La genèse du rassemblement est à trouver à quelques dizaines de kilomètres de Saint-Étienne, dans plusieurs directions. Au nord-est, le projet d’autoroute A45, véritable serpent de mer régulièrement ressorti des cartons 1, rencontre une opposition au long terme bien décidée à ne pas laisser construire une route qui doublerait le tracé d’une autre – l’A47 déjà existante – en détruisant au passage des centaines d’hectares de terres agricoles. Sans être abandonné, le projet a été récemment classé « non prioritaire » par le gouvernement.
90 camions quotidiens
Plus au sud, dans le parc naturel régional (PNR) du Pilat (à cheval sur les départements de la Loire et du Rhône), c’est la menace d’extension de la carrière des Gottes à Saint-Julien-Molin-Molette qui énerve les Piraillon.ne.s 2. Reprise au début des années 1970 par Delmonico-Dorel, un carrier 3 des environs, la carrière s’est depuis étendue pour être à la hauteur des ambitions croissantes du nouvel exploitant : les 1,5 hectares d’origine se sont transformés en 18 hectares, permettant à Delmonico-Dorel de sortir au bas mot 150 000 tonnes de granulats de microgranites 4 par an. Poussière permanente, boues sur les étroites routes, accidents liés au passage en plein village des 90 camions quotidiens… La commune, forte d’un gros millier d’habitants, pâtit des nuisances accumulées par l’appétit sans fin du carrier. La fin programmée de sa licence d’exploitation, fixée à 2020, avait donc tout pour réjouir les Piraillon.ne.s, mais une nouvelle demande d’extension sort du chapeau fin 2014 pour trente années supplémentaires, visant à tripler la production de granulat.
Les habitant.e.s s’organisent immédiatement en collectif et contre-attaquent, en éditant un bulletin régulier d’infos – Piraillon Mag – ou en enchaînant les actions. La mobilisation paye : fin 2017, le fonctionnaire chargé de l’enquête publique rend un rapport défavorable à l’extension. Personne ne baisse la garde pour autant : à Saint-Julien, on est habitués aux mauvaises surprises. Et tout le monde a en tête les extensions précédentes validées par le préfet malgré les avis défavorables répétés du PNR. Au fil des discussions et des rencontres avec d’autres luttes – dont l’opposition à l’A45, censée être construite avec les granulats extraits de la carrière de Saint-Julien –, l’idée d’un Carnaval contre les grands projets inutiles émerge.
« Concasseur con casse-toi »
Le 20 février, le conseil municipal de Saint-Julien émet à son tour un avis défavorable à l’extension de la carrière. Deux jours plus tard, devant l’hôtel de région de Lyon, un groupe d’opposant.e.s à l’A45 vient prononcer l’éloge funèbre de l’autoroute, pour marquer le coup du classement « non prioritaire » du grand projet par le gouvernement. De quoi regonfler le moral des collectifs, qui se retrouvent dans les rues de Saint-Étienne le 24 février : outre la lutte contre la carrière et l’A45, sont aussi présent.e.s des opposant.e.s à Linky, au projet de Center Parc de Roybon ou encore des soutiens à la zad de Bure. Les pancartes reflètent cette diversité : « Concasseur con casse-toi », « Non aux projets d’intérêt privé », « Extraction, pierre à cons »… Avec une mention spéciale pour « À bas les projets », peut-être le panneau le plus évocateur du parfum diffus de lutte générale et non sectorielle qui plane sur le carnaval.
La déambulation se poursuit dans les artères du centre-ville, jamais perturbée par une présence policière peu visible, mais rythmée par les échanges amusés avec des Stéphanois.e.s bienveillants et amusés. A l’arrivée place Chavanelle, le brasier final se met vite en place. L’occasion d’en finir pour de bon avec le cercueil noir, symbole de l’A45, porté à bout de bras depuis le début du cortège, et de faire partir les chars honnis dans une belle flambée. Bonjour le printemps, ciao les Grands projets inutiles ? Ni la carrière, ni l’autoroute ne sont définitivement enterrées pour le moment, et les collectifs n’ont pas prévu de relâcher la pression tant que ce ne sera pas le cas. Mais ce qui est certain, c’est que quelque chose est né à Saint-Étienne avec le retour du printemps, et que ce quelque-chose-là pourrait bien être promis à une belle et longue vie.
Note du webmaster : en octobre 2018, le projet d’autoroute A45 a finalement été abandonné par le gouvernement ; par ailleurs, un deuxième Carnaval de l’inutile s’est tenu en mars 2019 à Saint-Étienne.
1 Voir « Encore de la route ! », article paru dans le n° 56 de CQFD.
2 Le joli nom des habitant.e.s de Saint-Julien-Molin-Molette.
3 Entreprises spécialisées dans l’extraction et la vente de la roche.
4 Le microgranite est un granite aux cristaux beaucoup plus fins.
Cet article a été publié dans
CQFD n°165 (mai 2018)
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Paru dans CQFD n°165 (mai 2018)
Par
Illustré par Mickomix
Mis en ligne le 12.05.2019
Dans CQFD n°165 (mai 2018)
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Marre de votre écriture inclusive à la c... Vous gâchez tout.
22 mai 2019, 19:00, par Chien rouge
Bonjour,
Sur cette question, les avis sont ô combien divers ! Pour notre part, nous avons décidé de laisser le choix à la personne qui écrit l’article ; c’est pourquoi certains textes sont écrits en inclusif, d’autres non.
Bien à vous, L’équipe de CQFD