Ça brûle !
Un cerveau dans le frigo
La « chose » est apparue peu de temps après le départ du maquettiste Ferdinand C. Pour la Ville rose. Hasard ou coïncidence ? Nul ne sait. Au début, personne n’y prêta attention. Nous avions cru à une blague quand Hervé avait constaté : « Il y a un cerveau dans le frigo... » Dans le freezer, en réalité. Ah oui !, ça nous avait fait rire. Personne n’était allé vérifier. C’est peu après que les « événements » ont commencé. D’abord ce curieux vrombissement comme venu du fond des âges, émanant du recoin le plus sombre du local. Puis le bizarre comportement des chiens, qui refusaient d’entrer dans la cuisine et grognaient quand quelqu’un ouvrait le frigo. Il y avait aussi ces rêves fiévreux, les nuits de bouclage, qui hantaient les membres de la rédaction : des tentacules s’infiltrant entre les murs chtoniens du vieux Marseille, un cri surgi du fond insondable du Vieux Port, comme un appel… Et puis ces visiteurs étranges, cocktails innommables, mi-Parisiens mi-touristes, toquant à notre porte, quémandant leur chemin vers des destinations inconnues aux noms angoissants.
Un soir, alors qu’une pluie irréelle tombait en trombes non euclidiennes sur la ville décrépie, une bouteille de rosé fut, ô folie, déposée dans le freezer. Dix minutes plus tard, pris d’une soif inexplicable, Lémi, au milieu des ténèbres, voulut s’emparer de cette bouteille maudite. Impossible ! L’abomination, à la fois cerveau, poulpe et poisson mort, l’avait saisie dans ses lacets de glace ! Empli d’une terreur hallucinée, il faillit renoncer à la bouteille. Puis d’un geste désespéré, il l’arracha furieusement à sa gangue givrée.
Encore secoué de spasmes, les mains tremblantes, il déboucha l’atroce carafon et en servit ses malheureux collègues. Le liquide avait une couleur qu’on ne saurait décrire. Dans un rire dément, il invita ses amis à trinquer à la gloire de divinités oubliées. Puis, lentement, un à un, chacun des présents avala quelques gorgées de l’infâme potion… Au jour où j’écris ces lignes, nul ne sait ce que sont devenus ceux qui ont ainsi trinqué. Je suis seul dans le local. Une soif inextinguible m’habite. Je n’ose aller voir ce qu’il se trouve dans le frigo, mais je sens qu’il m’appelle… j’ai soif… Il reste peut-être une bière du dernier bouclage ?
Ph’nglui mglw’nafh Chien rouge Local wgah’nagl fhtagn.
Cet article a été publié dans
CQFD n°165 (mai 2018)
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Paru dans CQFD n°165 (mai 2018)
Dans la rubrique Ça brûle !
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Mis en ligne le 04.05.2018
Dans CQFD n°165 (mai 2018)
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