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Fan de fanzine : « Il faut que ce soit un peu dégueulasse »


paru dans CQFD n°162 (février 2018), rubrique , par Cécile Kiefer, Jean-Baptiste Bernard, illustré par
mis en ligne le 28/03/2018 - commentaires

Du brut. Râpeux comme un cul sec de rhum. Rude comme une descente de trip. Mais quand même putain de lumineux. L’essence du punk, quoi, joliment symbolisée par les fanzines sortis par Alexandre Simon en vingt ans de présence dans le mouvement : Black Lung, Ratcharge, Freak Out et Psycho Disco. À chaque fois, du bricolage, à grand renfort de ciseaux, de colle UHU et d’allers-retours au photocopieur. Mais du bricolage de pro, classe et qui envoie. Retour sur vingt ans de fanzinat.

Par Bertoyas. {JPEG}

Tu as lancé ton premier fanzine à 16 ans – comment ça a commencé ?

« J’ai chopé le virus avant même de savoir que les fanzines existaient. À 12 ans, je m’isolais dans ma chambre pour bricoler de faux magazines, dont des programmes TV – je n’y mettais que les émissions que j’aimais bien. Plus tard, au lycée, je faisais un peu de BD, je dessinais mes potes. Et un jour, j’ai compris que je pouvais photocopier les dessins et multiplier à l’envi le nombre d’exemplaires. Une révolution – à partir de là, le photocopieur est devenu mon allié. J’ai imprimé quinze exemplaires du truc, je les ai apportés au lycée, et j’ai forcé mes potes à les acheter pour cinq francs.

Plus tard, j’ai découvert l’existence des fanzines punk via des brèves dans la presse rock. À l’époque, j’habitais Savigny-sur-Orge, trou paumé ultra-conservateur en Essonne. C’était un désert culturel, alors je sautais sur la moindre occasion d’élargir mon horizon. Donc j’ai commandé un de ces fanzines. Qui m’a plu. Et inspiré. À tel point que j’ai lancé le mien, Black Lung, un mix entre fanzine punk et faux magazine. Dans le premier numéro, il n’y avait même pas d’interview de groupe – je n’en connaissais aucun. Je reprenais surtout des articles piochés ailleurs, un peu modifiés. Et je les agrémentais de dessins, de textes sur des disques que je n’avais pas forcément écoutés.

Après le premier numéro, je me suis essayé à l’interview. J’avais récupéré une paire de cassettes de groupes locaux, je leur ai écrit. Ces lettres, c’était comme des bouteilles à la mer, je ne voyais aucune raison qu’on me réponde. Ça a pourtant été le cas. Une révélation – j’ai commencé à envoyer plein de courriers aux groupes. Je chopais un contact, je lui écrivais et je croisais les doigts. Quand je recevais une réponse, j’étais comme un dingue... À l’époque, je ne me définissais pas comme un punk, j’étais juste un ado fan de punk qui essayait de faire quelque chose sans trop savoir quoi. Il y avait ce monde qui me semblait inaccessible, celui de la bande-son punk accompagnant les vidéos de skate ou des groupes de punk californiens passant à la radio. Mais j’essayais quand même de l’atteindre – peu importait que mes tentatives soient laborieuses. »

Au fur et à mesure, ta pratique a dû évoluer...

« Le premier numéro de Black Lung était imprimé en recto – je n’ai compris qu’ensuite que je pouvais faire du recto-verso. J’ai sorti les numéros suivants à une trentaine d’exemplaires, et j’en ai envoyé à des groupes. En retour, j’ai reçu des timbres, des demandes d’envoi, des flyers. Grisant – d’un coup, je faisais partie de ce monde.

Ensuite il y a eu la découverte du traitement de texte et d’Internet, en 2002. Ça m’a permis de contacter des groupes à l’étranger, de faire des interviews par mail. J’ai aussi appris sur le tas à traduire des textes. Mais ce sont les seules vraies évolutions techniques. J’ai continué à user principalement des ciseaux et de la colle pour réaliser mes fanzines – c’est toujours le cas. Je n’apprécie pas les logiciels de mise en page, leur utilisation est trop impersonnelle, et l’esthétique que j’aime s’accommode mal de l’informatique : il faut que ce soit un peu dégueulasse, brut, avec du grain. Et je veux pouvoir trafiquer mes images au photocopieur, les distordre pour obtenir un aspect crade, grossir des trucs, utiliser la fonction Inversé pour faire du blanc sur noir, etc. Niveau contenu, j’ai rapidement inclus des textes qui ne documentaient pas la musique, mais la vie qui allait avec – des opinions et histoires qui, avec le temps, sont devenues aussi importantes que le reste. »

Et ton fanzine s’est fait une place dans la scène punk...

« Ça a été progressif. Après le lycée, j’ai quitté la banlieue pour Rennes. À l’époque, je faisais la manche dans la rue et je vendais Black Lung aux passants. Ils pensaient acheter le magazine des SDF, mais tombaient sur des dessins trash et des articles sur des groupes inconnus... Surprise ! Je ne suis pas resté longtemps à Rennes, mais j’y ai découvert les squats et Maximum Rock’n’Roll, le plus vieux magazine punk, un mensuel de plus de cent pages lu dans le monde entier.

J’avais alors 19 ans et je me prenais tarte sur tarte en termes de découverte. Je traînais beaucoup dans les squats parisiens, en quête de ces groupes dont j’avais lu les chroniques dans Maximum Rock’n’Roll. J’arrivais avec mon sac plein d’exemplaires de Black Lung, j’osais à peine les sortir, je n’en menais pas large. Mais les gens se montraient enthousiastes ‘‘ Wouah, trop bien, t’as fait un fanzine ! ’’ Ils me filaient des thunes, en parlaient autour d’eux. Certains se sont mis à participer. C’était motivant, je me sentais comme un gamin à Euro Disney.

Plus tard, à 24 ans, j’ai lancé un nouveau fanzine, Ratcharge – de 2004 à 2014, il est devenu ma principale activité [1]. Il m’a accompagné dans mes pérégrinations, mes voyages ; même à l’étranger, j’ai continué à le sortir. Au final, en dix ans, j’ai dû en photocopier dix mille exemplaires, en une trentaine de numéros. C’était un projet plus ambitieux que Black Lung, mais quand même assez confidentiel. Ça ne m’a jamais rapporté d’argent, je suis juste rentré dans mes (maigres) frais. Mais je trouve ça sain, de bosser dur sans rien attendre en échange. »

Ratcharge , c’était à la fois un fanzine et plus que ça – l’urgence du punk doublée d’une grande exigence...

« Ma motivation première était de produire vite. Surtout au début : ça me permettait de découvrir une tonne de groupes, je construisais en même temps ma culture punk. Mais j’ai en effet toujours porté une certaine exigence : je voulais réaliser le fanzine de mes rêves, celui qui n’existe nulle part. De façon assez obsessionnelle, j’ai essayé de m’en approcher à chaque numéro. La plupart du temps, sans succès – à mes yeux.

Je voulais le contenu le plus riche possible, j’ai donc fait appel à des contributeurs. Et comme la version du punk qui m’intéressait était peu visible en France, j’ai aussi invité des inconnus vivant à l’étranger. En vérité, je proposais à tout le monde de participer... Je crois que toutes mes ex-copines ont écrit dans le zine, et beaucoup de potes. En général, les gens se montraient enthousiastes à l’idée de rédiger un texte, même s’ils craignaient de ne pas être à la hauteur. Je leur disais : ‘‘ On s’en fout, écris comme tu parles. ’’ Je ne corrigeais rien, je passais les textes tels quels. De la parole brute, ce qui est un aspect très propre au fanzine. »

Quel regard portes-tu sur la scène punk, parfois un peu fermée ?

« D’un côté, oui, c’est un milieu fermé et assez dur dans lequel tu te dis ‘‘ Il y a eux et il y a nous ’’. Et ce nous passe notamment par des signes distinctifs, un t-shirt ou la liste de groupes que tu es capable de sortir dans une discussion. Ça a bien sûr un côté excluant, parfois revendiqué comme tel. Ça m’a longtemps plu, j’avais l’impression d’appartenir à une société secrète. Mais maintenant que j’ai la trentaine, j’ai parfois tendance à le ressentir comme une prison. C’est pour ça que j’essaye régulièrement de faire des pas de côté – même si je sors un nouveau fanzine, Psycho Disco, et participe au label punk Cool Marriage Records.

Mais cet aspect fermé a aussi des aspects positifs : ça limite la récupération, toujours problématique avec le punk, et ça participe à construire une communauté, notamment à l’international. Quand je voyageais à l’arrache, je savais que je trouverais toujours un endroit où dormir. Il me suffisait d’envoyer deux mails pour être accueilli par des inconnus. Au final la construction de ce réseau est le truc le plus concret et radical qu’a donné le mouvement punk. Loin du ‘‘ glamour ’’ de la musique, hein. Plutôt toutes les choses qu’il faut gérer en coulisses : organiser les concerts, accueillir les groupes, nettoyer les chiottes, tenir le bar, ouvrir l’infoshop, faire des fanzines, monter un label… C’est grâce à toutes ces tâches que cette scène tient. C’est à nous, ça nous appartient, et ça, c’est une fin en soi. »


Notes


[1Une très belle anthologie de Ratcharge a été publiée en 2017 aux Éditions des mondes à faire. Ça s’appelle Entre un néant et un autre, et c’est aussi passionnant que très bien écrit.



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Par Cécile Kiefer


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