Indigestion de lecture
De Causeur à la nausée
J’ai acheté le numéro de janvier. Sa digestion fut difficile.
Très.
L’édito. Élisabeth Lévy fait la moue. La raison ? On ne peut plus rien dire, et encore moins en rire. La preuve, Tex, un animateur de jeu télé, s’est fait virer de France 2 à cause d’une – mauvaise – blague sur les femmes battues. Et l’éditorialiste d’en appeler à Rabelais et Molière – des Tex de l’époque – , bâillonnés une nouvelle fois par la police de la pensée. « Interdit de déconner sur les juifs, les Noirs et les Arabes, et encore moins sur les femmes. […] En somme, il n’est plus permis de se moquer que des réacs et des électeurs du FN, ce qui finit par lasser. » Surtout qu’elle doit le prendre un peu pour elle...
Les billets. C’est festival. L’un roumègue contre la gabegie des pouvoirs publics qui dépensent des millions pour des ronds-points peu harmonieux. Beau comme du Jean-Pierre Pernaud. Plus loin, on apprend que Trieste a décidé de baptiser une rue du nom du néo-fasciste Giorgio Almirante – l’auteur peine à cacher sa joie. Puis un autre se félicite que Gabbana, de Dolce & Gabbana, s’en prenne au « lobby gay »... Je n’en suis qu’à la page 8, et déjà mon estomac se rappelle à mon bon souvenir.
Petite bite. Jean-Paul Lilienfeld est le scénariste de l’inénarrable Journée de la jupe, film décrivant les jeunes de banlieues en horde de barbares malfaisants2. Dans une scène, un jeune homme – noir, forcément – menace sa prof d’un : « T’as une idée de ce que ça te fera de sentir deux bites de bamboulas te ramoner en même temps, salope ! » Un vif intérêt pour le sexe masculin que Jean-Paul Lilienfeld confirme dans ce numéro, puisqu’il y affirme que la taille moyenne du pénis aurait diminué de 10 % en 60 ans. La cause ? Les perturbateurs endocriniens, responsables par ailleurs – toujours selon lui – de poitrines plus généreuses chez les femmes. Et le scénariste de se gondoler : « Vraiment pas de bol ! » Elle a raison, Élisabeth Lévy : l’humour, c’est rigolo.
Le titre le plus rance. « Allemagne, Suède : l’immigration, une chance pour l’antisémitisme ». Oui, tel quel. Le papier commence ainsi : « Un ami allemand m’a raconté la mésaventure d’un jeune couple de Berlinois... » Ça fleure bon la rigueur journalistique. La suite, en résumé : les immigrés ne sont rien tant que des nazis « biberonnés à la haine des juifs ». Sur le sujet, je vous renvoie au billet de Sébastien Fontenelle, en page 43. Moi, je sens venir des haut-le-cœur.
De l’autre côté de l’Atlantique. Là-bas aussi, l’immigration ferait des ravages. Selon le « sociologue » Mathieu Bock-Côté, le gouvernement de Justin Trudeau « souhaite faire entrer 450 000 immigrés chaque année dans le pays ». Objectif ? « Dissoudre tout ce qu’il reste du Canada d’hier » pour le transformer en pays d’immigrants où Bock-Côté serait « étranger chez [lui] ». Le « grand remplacement » versus le sirop d’érable et la poutine... Mes boyaux protestent.
Interview. Le fondateur du site d’extrême-droite Fdesouche, Pierre Sautarel, « s’épanche rarement dans les médias ». Mais pour Causeur, il fait un effort. Normal, il est comme à la maison. Quand le journaliste constate qu’« un flot de commentaires racistes se déverse en effet sur Fdesouche », ce n’est pas pour le déplorer. Non. Il l’interroge plutôt : « Comment avez-vous gagné la bataille des idées ? » Avant de lui tendre une autre perche : « Plus personne ne nie que les attentats de ces dernières années sont le fait d’enfants de l’immigration. » Mon estomac s’insurge.
Finkielkraut et les « non-souchiens ». Le philosophe publie ici des extraits de ses chroniques diffusées sur RCJ. Cette fois, il recycle celle qui lui a valu une pétition réclamant son exclusion de l’Académie française. La raison ? Ce commentaire sur la cérémonie d’adieu à Johnny Hallyday : « Le petit peuple des petits Blancs est descendu dans la rue pour dire adieu à Johnny. Il était nombreux et [...] il était seul. La diversité notamment n’était pas au rendez-vous. Les ‘‘ non-souchiens ’’ brillaient par leur absence. » En note, il feint de s’expliquer sur l’usage de ce terme : « J’ai été accusé de reprendre à mon compte le vocabulaire de la fachosphère. C’est absurde : les Français d’origine française [sic] ne se désignent pas comme des ‘‘ souchiens ’’ [...]. » Alain. Tourne donc quelques pages. Non, dans l’autre sens. Voilà. Et tu lis ? Oui, l’interview du fondateur de... site Fdesouche. Dingue, non ?
Dossier « Charlie Akbar ! » Là, le secrétaire de rédac’ s’est marré. « Causeur fait son dossier sur Charlie ? ’Tain, ça complique... Mais fonce, tu peux le faire ! » En 600 signes ? OK. Causeur est horrifié – comme nous tous – que des journalistes se fassent assassiner pour leurs écrits, leurs crobards, leurs idées. Reste cette affirmation d’Élisabeth Lévy, après un long papier retraçant l’historique des attentats : « Sur le front du combat politique et culturel contre l’islam radical, […] le président aurait pris conscience de la gravité du problème, d’où sa fermeté nouvelle vis-à-vis de l’immigration. » C’est posé : immigration égale islam radical... Viennent ensuite une interview du journaliste de Charlie Fabrice Nicolino – mais que fait-il là ? – et un papier intitulé « L’ennemi intérieur, portrait robot ». Il commence ainsi : « Toutes les études convergent : les auteurs des attentats commis en France ces cinq dernières années sont à une écrasante majorité des jeunes issus de familles musulmanes, ayant des racines au Maghreb. » Et vlan : immigration égale islam égale terrorisme… Ce journal ne cause pas, il radote. Alimentant tranquillou la bedaine de la France la plus rance. À vomir.
1 D’abord site sur le net (en 2007), Causeur s’est lancé sur le papier en 2008. Seulement sur abonnement à l’origine, puis en kiosques à partir de 2013. Le magazine revendique aujourd’hui 7 800 abonnés et (plus ou moins) autant de ventes en kiosques – faut le croire sur parole...
2 Lire « Ils ne comprennent que la force – Sur La Journée de la jupe », billet de Mona Chollet publié sur Les blogs du Diplo le 12/04/2009.
Cet article a été publié dans
CQFD n°162 (février 2018)
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Paru dans CQFD n°162 (février 2018)
Dans la rubrique Médias
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Illustré par Pirikk
Mis en ligne le 13.03.2018
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Dans CQFD n°162 (février 2018)
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16 janvier 2019, 12:48, par gil et john
hello j’attendais de votre part des arguments, des réponses point par point, des démonstrations qui rentrent dans le lard des assertions des articles de ce numero de Causeur. Mais je ne lis que des émotions, des pamoisons, des haut-le-coeur. Cela ne montre rien, n’apporte rien au débat. C’est bien dommage.
14 février 2019, 22:13, par marc
il faudrait pouvoir répondre vigoureusement à la droite ( et à l’extrême droite ) sur l’ interprétation dégueulasse qu’ils font des réalités que nous vivons. Mais les grandes voix de la "gauche officielle" en sont incapables, non pas parce qu’ils manquent de talent, mais parce qu’ils sont dans le déni total de la réalité réelle qu’ils refusent d’envisager et qu’ils ne peuvent donc pas ni commenter ni analyser. Si la pluie tombe et si Finkelkraut dit " il pleut" il faut arrêter de dire qu’il fait soleil parce Finkelkraut a dit le contraire, mais essayer de comprendre pourquoi il pleut et essayer d’apporter des réponses de gauche ; Du coup on croit rêver, la liberté d’expression, la laicité, enfin tout ce qui fait nos valeurs sont "défendues" par la droite et les fachos ! Je crois qu’on est vraiment au fond du trou !
23 février 2019, 11:05, par jcm
Entre causeur et cosette mon choix est fait, c’est causeur ! ne vous déplaise je danse la javanaise.
un gay qui sait que LGBT est homo mais antigay , que les restaurants des villes s’appellent tous la vieille auberge, et sans rire ( au figuré mais surtout au propre ), que l’antiracisme aujourd’hui est comment dire,..... un truc bien huilé aujourd’hui contre les juifs, par exemple, parmi d’autres....
31 mars 2019, 12:42, par Marton
Un article très symptomatique de la paralysie intellectuelle de la gauche contemporaine. On y apprendra simplement que lorsque qu’un journaliste de gauche lit causeur, il doit se faire violence, comme tout idéologue lorsqu’il doit appréhender des données réelles qui ne rentrent pas dans son logiciel intellectuel. Mais si l’on veut trouver une réponse humaniste fondée sur des arguments valables et non pas une logorrhée plus fastidieuse encore à lire que celle des ses adversaires il faudra encore attendre. Si l’humour, la sagacité et la défense des valeurs fondamentales appartiennent à la droite c’est parce que la gauche lui tend la perche en ayant perdu toute lucidité, par simple arrogance. Que préfère la gauche entre son ego et la gauche ?
8 avril 2019, 13:59, par xavier
bien agréable de lire ces commentaires, oui il faut du sens critique , c’est mieux pour contrecarrer des idées "nauséeuses" c’est comme ca qu’on dit ? Quant à moi j’essaie de respecter tout le monde ,mais surtout ceux qui travaillent leur dossier, la gauche est tombée dans la facilité de l’anathème , quant à ceux (de gauche) qui réfléchissent et analysent a partir du réel , rapidement ,l’ensemble bien pensant les redressent :vous faites le jeux de qui vous savez. Et oui le réel fera le jeux de l’extrême droite si la gauche ne s’en empare pas aussi .
25 mai 2019, 07:48, par PALRIDER
Vous avez le droit de penser, de juger, malheureusement vous le faîtes mal. Il nous faut du rouge voir du rouge vif dans le paysage politique mais avec ce type de déversement primaire, pas étonnant que vous vous reproduisiez entre vous et qu’au final vous ne représentez personne. DOMMAGE !
27 août 2020, 21:26, par Sylvain
Bah, il y a aussi des bons articles dans ce journal, pourquoi ne pas avoir le droit de le dire ? Cela ne signifie pas que j’adhère à l’ensemble du contenu (l’article sur les ouïghours ne me convient pas mais je l’ai lu). C’est si grave que ça de lire ce genre de presse ? Pourquoi classer les lecteurs parmi les coupables ? C’est plus fun et plus classe de lire CQFD ? Plus dans l’air du temps ?