L’édito du 181
Concerto pour insurgés
Salut à toi la Chilienne / Salut à toi l’Équatorien / Salut à toi la Vénézuélienne / Salut à toi l’Haïtien / Salut à toi la Bolivienne / Salut à toi le Hongkongais / Salut à toi la Tunisienne / Salut à toi l’Irakien / Salut à toi la Libanaise / Salut à toi l’Algérien / Salut à toi la Catalane / Etc. 1
Aux quatre coins du monde, ça dégonde. Au Chili, depuis le 18 octobre, des milliers de personnes descendent quotidiennement dans la rue pour faire entendre leur ras-le-bol. L’étincelle qui a mis le feu aux poudres ? une hausse du prix du ticket de métro que le gouvernement s’est empressé d’annuler. Trop tard, les Chiliens ont maintenu le cap et élargi leurs revendications, entre autres, au droit à la santé et à l’éducation pour tous. Ils réclament aussi un changement de Constitution, laquelle date de Pinochet. Une période honnie qui se rappelle à leur bon souvenir : l’armée a investi les rues et le gouvernement a décrété l’instauration d’un couvre-feu.
S’il s’embrase, le Chili compte aussi ses morts : des dizaines de personnes ont été tuées depuis le début du mouvement. Même décompte funeste en Équateur, avec a minima 8 morts et plus de 1 300 blessés. La population est malgré tout parvenue à faire capoter le projet de suppression de la subvention de l’État sur le carburant, réclamée avec insistance par le FMI. Face à la pression de la rue et au blocage des puits pétroliers, le gouvernement a fini par botter en touche et déguerpir de la capitale Quito pour se planquer à Guayaquil.
En Haïti, c’est le départ du président Moïse que les manifestants tentent de provoquer, étranglés par la pauvreté et excédés par la pénurie d’essence qui sévit dans le pays. De l’autre côté de l’Atlantique, la Catalogne s’embrase elle aussi après le verdict du procès de neuf leaders indépendantistes condamnés à des peines de prison ahurissantes pour avoir, en 2017, organisé un référendum interdit. Au Liban, c’est l’annonce du gouvernement sur la taxation des appels téléphoniques passés via des applications de messagerie en ligne qui fait vriller la plèbe. Malgré le retrait de la mesure, le peuple continue de battre le pavé dans l’espoir de limoger une classe politique vérolée. Quant à l’Irak, le pays a dégoupillé début octobre pour dénoncer une corruption endémique, des services publics inexistants et un taux de chômage qui s’envole. Le bilan fait froid dans le dos : plus de 200 morts et 8 000 blessés.
En cette période de boum planétaire, dont on n’a cité que quelques éminents exemples, l’Hexagone s’apprête à fêter le premier anniversaire des Gilets jaunes. Ambiance mi-figue mi-raisin. Le mouvement décline sec et n’a pas arraché grand-chose au gouvernement malgré une année de mobilisation vénère. Lueur d’espoir dans ce tunnel d’amertume : samedi dernier, pendant l’acte cinquante, on a vu converger gilets fluo et cortège kurde à Bordeaux, diaspora chilienne et chasubles jaunes à Paname. Alors c’est pas pour mettre une pièce dans la machine à mythifier le Grand Soir, mais on se dit qu’une (nouvelle) étincelle est vite arrivée. Et que le carburant – la rage – ne manque pas. Y a plus qu’à. Comme l’a à peu près dit un certain Richard Bohringer (ou bien Néron, on sait plus) : parfois, c’est beau une ville qui brûle.
1 Pour ceux qui ne saisiraient pas la référence : paroles remaniées d’un mythique morceau de Bérurier Noir, « Salut à toi ».
Cet article a été publié dans
CQFD n°181 (novembre 2019)
Trouver un point de venteJe veux m'abonner
Faire un don
Paru dans CQFD n°181 (novembre 2019)
Dans la rubrique Édito
Par
Mis en ligne le 01.11.2019
Dans CQFD n°181 (novembre 2019)
Derniers articles de L’équipe de CQFD