« Bonjour chez vous »

On s’aperçoit depuis quelque temps, dans les usines de l’industrie chimique, de l’arrivée ou de la remontée aux affaires d’un syndicat qui passe pour ringard, à savoir la CFTC. C’est encore marginal, mais le mal semble bien revenir.

La CFTC, syndicat des travailleurs « chrétiens » se crée en 1919 avec comme objectif avoué de contrer la toute puissante CGT dans le milieu ouvrier. Peu revendicative, elle garde comme image du patron celle de « not’ bon maître » tout en s’agenouillant devant l’église et ses encycliques. En 1964, suite à la guerre d’Algérie, la tendance gauche de la CFTC scissionne pour former la CFDT. Poussé sur sa droite, le syndicat chrétien périclite et ne se retrouve quasiment que dans le Nord et en Alsace-Lorraine. En 1997, la CFTC perd encore un tiers de ses conseillers prud’homaux au profit de la CFDT.

Par Efix.

Mais les patrons qui ont besoin d’une organisation maison n’hésitent pas à faire adhérer à ce syndicat (et même à payer les cotisations) des salariés soumis et prêts à signer n’importe quel accord bidon ou plan de restructuration. Plus facile même que de les faire adhérer à FO qui a parfois des réactions ingérables pour un dirigeant d’entreprise.

Depuis 1996, le FN a essayé de faire de l’entrisme chez ces grenouilles de bénitiers mais sans résultats probants, hormis une CFTC-police bien infiltrée et des revendications d’appartenance de la part de candidats frontistes aux élections municipales restées sans désaveu de la hiérarchie syndicale.

Dans ma boîte, la CFTC est apparue il y a une vingtaine d’années à la faveur de la fermeture d’une usine d’engrais du Pas-de-Calais et du transfert de quelques collègues sur notre site. En fait, c’était un seul et unique militant. Voyant un danger possible, la CFDT a essayé de lui mettre le grappin dessus, sans résultat. Le type en question, que nous appellerons N°1 par commodité autant que par goût pour les séries anglaises des sixties, aurait eu trop à y perdre : étant un syndicat à lui tout seul, il bénéficiait d’heures de délégation dans toutes les instances possibles et ne se retrouvait quasiment jamais à l’usine. Jamais là, mais se faisant payer des heures supplémentaires qu’il ne faisait pas ! Il fallait bien que la direction le remercie pour les services rendus dans le maintien de la paix sociale  ! N°1 était tellement apprécié par la direction que, lors de son départ en retraite, il fut invité par le PDG pour boire un dernier verre.

Avant de partir, N°1 s’est trouvé un successeur (appelons-le N°2, donc) qui a tout de suite profité des multiples heures de délégation mais qui, lui, a une stratégie de progression de son village de vacances. Même si elle reste balbutiante, son initiative commence à rassembler quelques éléments effrayés par une CGT jugée trop gauchisante et surtout par une CFDT qui ne représente plus que des contremaîtres. N°2 est jeune, présente comme un commercial un peu bas du front et communique sans cesse, même lorsqu’il n’est pas présent sur le terrain, à coup de mels, de SMS et de tracts. Il organise surtout, grâce au renfort des N°3 et 4, beaucoup de sondages (même pas des pétitions) qui donnent l’impression à certains qu’on s’occupe d’eux, mais ce ne sont, évidemment, que d’éphémères bulles de savon. L’un de ces coups de com’ demandait par exemple à ce que les gens puissent faire davantage d’heures supplémentaires. En revanche, il n’est jamais question d’augmentation de salaires, de grève ou même d’actions et de bagarres. Le discours vise surtout à répandre un climat de méfiance généralisée, entre ceux qui travaillent en poste et ceux qui bossent à la journée, entre le personnel de fabrication et celui de la maintenance. Une méfiance qui est dans l’air du temps et qui participe à faire perdre aux salariés le goût de la lutte et de la solidarité. Cependant, ce discours ne trouve pas, pour l’instant, une adhésion franche et massive de la part des salariés de l’usine. « Nous ne sommes pas [encore] des numéros  ! »

Condoléances prolétariennes

Alors que tu vas au boulot, le matin, coincé dans une circulation soutenue, voilà que l’autoradio t’apprend que ton ancien PDG vient de passer l’arme à gauche. Tout de suite, ta journée prend un autre air. Un mélange de plaisir et de déception. Déception parce que tu aurais plutôt aimé voir sa tête au bout d’une pique pendant qu’on aurait dansé une joyeuse Carmagnole. Tu pensais aussi que, vu les accointances du sieur avec Poutine, son goût très marqué pour la vodka et ses magouilles sur le prix du gaz, ce serait plutôt la mafia russe qui le dessouderait. Même pas. Un banal accident du travail.

Sauf que celui-là on en parle (quoiqu’on ne sache rien des membres du personnel du Falcon qui sont morts avec lui). La presse et les politiques sont intarissables sur la mort de de Margerie1, bien plus que sur les accidents mortels qui ont eu lieu dans les raffineries Total de Feyzin ou Gonfreville.

A l’usine, c’est le sujet de discussion et de rigolade. Tout le monde se lâche  : « Il n’avait pas encore son parachute doré », « Il n’aura pas de problème avec l’amiante  », « C’est Depardieu qui conduisait la déneigeuse ou bien ? », etc.

Sont évoqués l’Erika, AZF, la Birmanie et l’Ouganda, les Crédits d’impôt touchés par Total qui ne paie pas d’impôts en France…

Ça n’arrête pas. On est dans une jubilation, d’autant que Total a revendu notre boîte, l’an dernier, sans états d’âme.

Et puis, pour finir (faut bien aller bosser), il y a cet autre copain qui demande, sans rire, que le CHSCT fasse une enquête sur l’accident : « Que faisait-il là-bas alors que les relations avec la Russie sont gelées pour cause d’Ukraine ? A-t-il agi de sa propre initiative ? A-t-il respecté le règlement interne sur les grands déplacements ? Pourquoi utilisait-il son véhicule personnel ? Peut-on envisager une piste terroriste comme pour AZF ? La mort du PDG va-t-elle influer sur la cotisation Accidents du Travail Maladies Professionnelles que Total paye à la Sécu ? »

Nous, ça nous fait rire…

Voilà, à chaud, comment on a réagi, à l’usine.

Par Rémy Cattelain.

1 Sa mort fait revenir Desmarets aux commandes, le PDG de l’époque d’AZF, qui aimait tant ses salariés que lorsqu’ils avaient voulu le voir à La Défense, il s’était sauvé par une fenêtre. Quant à Pouyannet, il accélèrera sans doute la fermeture des raffineries européennes…

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