Vieillards geignards cherchent France d’antan

« Valeurs actuelles » : à la recherche du blondinet perdu

Rapide immersion dans les entrailles d’un vieux flétri qui distille en kiosque toutes les semaines une puanteur bien dans l’air du temps.
Par L. L. de Mars

Ben voilà, c’est fait. D’un pas titubant, je sors de la bibliothèque, ma mission accomplie : quatre heures de lecture de Valeurs actuelles, l’hebdomadaire de la droite catho dure et cagneuse, en guerre contre le « politiquement correct », le voile, le féminisme, etc. Pour être franc, je n’en mène pas large : teint blafard, toux scrofuleuse, pensées ridées, gueule de Houellebecq... Ouaip, j’ai pris vingt ans, au bas mot. Ce qui à l’aune du lectorat dudit torchon fait encore de moi un petit jeunot. Youpi.

Petit rappel : né en 1966, l’hebdo était déjà vieux à la naissance, version libérale-réac mais pas encore facho. Longtemps, il a vivoté dans les kiosques, sans éclat notable. Changement de cap en 2012, quand le nouveau boss de la rédaction, un certain Yves de Kerdrel, a décidé de plonger dans l’identitaire racoleur. Les ventes ont enflé, confirmant le calcul opportuniste. Et les polémiques n’ont plus cessé, particulièrement ces derniers temps, ses poulains Zemmour, Finkielkraut, D’Ornellas éructant dans tous les médias en piaillant à la censure.

Résultat : cette impression tenace que sur certains débats de société (notamment le voile), l’hebdo donne désormais le ton, au point d’avoir récemment accueilli la parole présidentielle – « Tête à tête avec Macron », numéro paru le 31 octobre.

Après lecture intégrale de sept numéros récents de l’hebdo, le succès du bouzin est pourtant difficile à comprendre. OK, les chevaux de bataille enfourchés flattent le facho moyen dans le sens du poil – quoi de plus facile que taper sur les immigrés et les voilées quand toute la Rance est au diapason ? Mais pour le reste : de bout en bout, c’est moche, nul, plat, vieux, racorni.

Compter les têtes blondes

Si on gratte le lourd vernis de provocation et de racisme, surtout porté par les Unes tapageuses et les dossiers polémiques, – « Le voile ou la France », « Les islamo-collabos », etc. –, l’hebdo ne fait que ressasser une obsession : c’était mieux avant. Avant qu’on ne puisse plus rien dire, mon vieux Roger. Avant que les immigrés ne viennent piquer les allocs. Avant le « politiquement correct ». Avant qu’on ne coupe le roi en deux. Avant le rap. Avant l’ » idiot utile Omar Sy ». Avant, avant, avant…

Exemple type : alors même que l’hebdo se pique d’une laïcité farouche contre l’hydre islamiste « ayant juré notre perte », l’éducation se conçoit pour ses rédacteurs comme une resucée des années 1950. Le dossier « Notre palmarès des écoles privées », publié début novembre, est ainsi un long appel lancinant à inscrire nos chères « petites têtes blondes » (expression maladivement récurrente) dans des internats cathos. Article phare : « Quand l’uniforme fait l’élève ». Du lourd. Et partout, dans ce numéro comme dans les autres, des pubs pour diverses formations estampillées catho tradi, avec col Claudine et non-mixité. Ainsi de la Communauté de l’Emmanuel (no joke), qui « veut offrir aux nouvelles générations le cadeau de la foi en leur permettant de s’attacher au Christ dès leur plus jeune âge ». Quant aux « Dominicaines enseignantes de Fanjeaux », elles s’affichent bien rubicondes, flippantes, face à des têtes blondes blondes blondes.

Un article du fumeux dossier « Le voile ou la France » résume parfaitement cette quête identitaire éperdue : il conte le retour de Nadine Morano dans la cité nancéienne de sa jeunesse. On y voit l’ineffable politicienne la jouer agente infiltrée, comptant les femmes voilées dans la rue avant de stopper devant les portes de son ancienne école primaire. Morceau d’anthologie : » Nadine n’a pas manqué de s’arrêter longuement devant les photos de classe [...]. Une nouvelle fois, elle compte. Non plus les voiles, mais les petites têtes blondes. Une main suffit. » Sanglots dans les chaumières.

Peurs sur les vils

On le sait, l’hebdo se revendique d’une forme de guerre culturelle, son apport à un combat de civilisation qui laminerait la France. Il mobilise pour ça un imaginaire tellement boursouflé de naphtaline que Michel Drucker en comparaison paraît avant-gardiste. Jean Raspail et la fleur de lys. L’Algérie française. Les plumes du chiraquien sénile Denis Tillinac ou du très bilieux François d’Orcival. La Grande Russie. Le beaujolais. Et la peur, tout le temps, partout : de l’envahisseur, des femmes libérées, des homos, de tout ce qui n’est pas eux, rigide, blanco, flétri.

Les pages s’enchaînent, les articles défilent, les soupirs et dégoûts s’accumulent. Tant de nullité flippée, ça file le vertige. Florilège : « Les piranhas de l’islamophobie » ; « Les petits Blancs ont disparu du paysage » ; « Grèves, ne cédons pas à la menace » ; « Reconquista culturelle » ; « Partout c’est la loi des caïds qui s’impose ». Et ce cri du cœur, issu du courrier des lecteurs, rapport aux « têtes blondes » qui disparaissent : « Mon Dieu, qu’allons-nous devenir ? »

Ce que vous allez devenir ? Simple : vous mourrez bientôt, seuls, terrifiés par l’étranger, méprisés par vos petits-enfants. Et l’infirmière voilée qui remontera le drap blanc sur votre nez variqueux vous chantonnera « Fuck le 17 »1 aux naseaux. Cheh.

Émilien Bernard

1 Morceau du groupe de rap 13 Block qui a fait scandale pour ses propos anti-flics.

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