Les derniers vœux de Raymond Millot

Minots : brûler l’uniforme (plutôt que la planète)

Militant passionné de l’éducation comme bien commun et outil émancipateur, Raymond Millot est parti cet été, laissant derrière lui un dernier livre, qui se réclame d’une utopie concrète : Bifurquer… Changer l’ordre millénaire (Massot, 2024).

C’est davantage un livret qu’un ouvrage conséquent. Une cinquantaine de pages, où sont résumés sans fioriture les axes concrets de la révolution éducative à laquelle Raymond Millot a œuvré une bonne partie de sa vie. Publié juste avant son décès à l’âge de 98 ans, Bifurquer… Changer l’ordre millénaire constitue une base de travail sur laquelle s’appuyer, un legs à tous ceux qui voient dans l’éducation une possibilité d’émancipation plutôt que de reproduction des inégalités et de la mortifère course en avant néolibérale.

Déa Guili

« Il nous propose de bifurquer, passer du statut d’objet à celui de sujet », résume le journaliste Denis Robert, en préface. « De combattre les formatages et les présupposés qui cadenassent nos vies, celles - surtout - de nos enfants. » Pour Raymond Millot, cet impératif est d’autant plus criant à l’heure du réchauffement climatique et des défis à venir. Dans son précédent ouvrage L’Éducation, un bien commun (Massot, 2021), il appelait déjà à ne pas dissocier questions environnementales et éducatives.

Et pour cause : en matière de formatage éducatif, le ver est dans le fruit depuis longtemps. Hormis quelques tentatives - « l’éducation nouvelle » sous la Commune (1871), les expérimentations concrètes de militants tels que Célestin Freinet ou Francisco Ferrer - l’enfant a toujours été vu comme un objet (familial, économique, sexuel), appelé à perpétuer un ordre social où les uns seront « premiers de cordée » et les autres ne « seront rien ». Ce pur formatage, inculqué dès l’école par le système de notation, place les minots dans une situation où ils sont « inévitablement influencés par la conception dominante de la réussite sociale et par le souci de [leur] insertion dans le système économique ».

Appelant de ses vœux « une convention citoyenne sur l’éducation », prélude à des changements plus profonds, il se projette même en fin d’ouvrage dans un scénario futur, purement imaginaire. En 2030, confrontés aux effets délétères du réchauffement climatique (feux de forêt notamment), les équipes éducatives de deux écoles et un collège de Nouvelle-Aquitaine mettent en place une nouvelle pédagogie placée sous le sceau de la « mobilisation générale » et d’instances novatrices telles que l’Institut régional de l’émancipation et de l’éducation (IREE). Au programme : création de journaux, sorties exploratoires et mise en lien avec les pompiers du coin pour les plus petits. Mais aussi, pour tous, la création de « temps de fête, de production artistique, d’expositions, pour ne pas enfermer les enfants dans le seul projet matériel de lutte contre les effets du réchauffement et ne pas alimenter la peur de l’avenir déjà implantée dans les esprits ». Un petit bout de bifurcation, concret, avec en tête un grand tournant possible - ouvrez, ouvrez la cage aux minots !

par Émilien Bernard
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CQFD n°234 (octobre 2024)

Dans ce numéro, on revient avec Valérie Rey-Robert sur ce qu’est la culture du viol dans un dossier de quatre pages, avec en toile de fond l’affaire des viols de Mazan. On aborde aussi le culte du patriarche et les violences sexistes dans le cinéma d’auteur. Hors-dossier, Vincent Tiberj déconstruit le mythe de la droitisation de la France. On se penche sur les centres d’accueil pour demandeurs d’asile en Italie, avant de revenir sur la grève victorieuse des femmes de chambres d’un hôtel de luxe à Marseille. Enfin, on sollicite votre soutien pour sortir CQFD de la dèche !

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