Des croches et la lune
Vagabond, grand et beau
Le krach de 1929, la déglingue qui s’ensuit, les errants des Raisins de la colère, la fin de la crise avec l’entrée en guerre des États-Unis… De cette époque pas si éloignée de la nôtre, Dan Burr a tiré une BD plus proche encore, Les rois vagabonds . Adaptation graphique d’une pièce de James Vance, l’album met en scène l’histoire de Fred, un adolescent parti de Californie à la recherche de son père. On est en 1932, la campagne présidentielle Hoover-Roosevelt fait rage. Fred tente sa chance avec les hobos, vagabonds « rouges » qui se partagent leurs miettes. L’anarcho-syndicalisme des IWW (Industrial Workers of the World, voir CQFD n°25), résolus à organiser des travailleurs dispersés et divisés, est passé par là… À Détroit, il est témoin de la baston policière contre les ouvriers des usines Ford victimes des lock-out. Les morts, la misère et une solidarité urbaine en dents de scie poussent Fred à reprendre la route. Au coeur de l’Amérique profonde, il tombe sur un village autogéré, bientôt mis à feu et à sang par les habitants de la ville voisine, révulsés par cette expérience sacrilège. L’histoire prend fin (pour nous) quand Fred, métamorphosé par son odyssée à ras du bitume, reprend une nouvelle fois son errance. Le trait raide et froid de Dan Burr rend à merveille le climat de cette époque riche en inventions, que ce soit en matière de criminalisation de la pauvreté, de « recherche dynamique d’emploi » et de résistance à l’une et l’autre… En témoignent les passionnants annexes fournis par l’éditeur, Vertige Graphic. Une belle et utile piqûre de rappel.
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Pas facile de résumer en quelques mots les déflagrations philosophiques de Tristan-Edern Vaquette. D’une part, car ce touche-à-tout sévit sous des formes variées (musique, théatre, écrits…) D’autre part, car son personnage incontrôlé suscite la méfiance autant que la fascination. Je me contenterai donc de causer de son spectacle musico-théatral J’veux être grand et beau, sorti récemment en DVD. L’IndispensablE, comme il aime se faire appeler, y apparaît en tenue rouge, une baguette à la main et un tableau noir dans son dos. Fidèle à sa réputation de punk normalien, il nous délivre un cours de philosophie vacharde, crêtes sur la tête et rangers aux pieds. Méprisant une humanité à ses yeux gangrenée par un grouillement de microscopiques bons pères de famille aussi lâches qu’insignifiants, Vaquette assène quelques conseils pour en sortir « grand et beau ». Plusieurs fois au cours de la représentation, alors que le spectateur reste pendu à ses lèvres pour ne pas en perdre une miette et tenter au passage de comprendre « c’est quoi ça veut dire », la lumière s’éteint : brusquement, voilà notre Vaquette dans un décor de cabaret, un instrument de musique à la main, lancé dans un interlude où sadisme et férocité laissent place à des chansons humoristiques d’un mauvais goût salutaire. Vaquette aime à dire qu’« il n’y a pas de méchant système, il n’y a qu’une somme d’individuelles lâchetés ». Ça se discute, mais son spectacle offre une heure de bons arguments à l’appui de sa thèse. À commander par chèque de 15 euros à l’ordre de Du poignon productions, Le bois de Saint-Jean, 03170 Saint-Angel. www.vaquette.org
Cet article a été publié dans
CQFD n°32 (mars 2006)
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Paru dans CQFD n°32 (mars 2006)
Dans la rubrique Culture
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Mis en ligne le 13.05.2006
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