Entretien avec Quentin Faucompré

Franchement, je mettrais pas ça dans mon salon

Peut-être avez-vous déjà remarqué les dessins de Quentin Faucompré dans le journal ? Sa carte de la Zone à Défendre (ZAD) de Notre-Dame-des-Landes trône sûrement désormais dans votre living, ou vos toilettes. Son trait souple, faussement naïf invite à passer derrière le miroir vers un univers où ses marottes, ses obsessions se tiennent tapies, prêtes à bondir. Sexe, religion, chasseurs et proies, bubons et excroissances se côtoient en harmonie dans des coloris pastel.
 Hyperactif multi-medium (dessin, performance, bande dessinée, photographie, installation), il est aussi connu dans sa ville de résidence, Nantes, sous l’alias d’El Pepito, membre de la ligue des catcheurs-dessinateurs à moustache de matchs1.
En compagnie de Charles Pennequin, écrivain performeur, et d’un bataillon anarchique de dessinateurs et de poètes de rencontre, vient de paraître le deuxième tome de l’Armée noire, recueil joyeusement déglingué. Entretien.

CQFD   : D’où vient l’Armée noire et qui y participe  ?

Quentin Faucompré  : C’est une expression du nord de la France qui désigne les gens qui traînent dans la rue. L’Armée noire est un bordel ambulant, pas un collectif d’artistes. Le projet est né de rencontres : amis, gens croisés au hasard dans la rue, des enfants y participent…
 Ça donne des actions aléatoires dans diverses villes (Dunkerque, Lille, Nantes, Bruxelles, Marseille), et divers endroits  : des barbecues sur des ronds-points, un copain musicien qui dessine le texte d’un réfugié croisé dans une gare. Récemment, cela a donné lieu à une publication2. On gère tout, de l’édition à la diffusion via des librairies amies.

Peux-tu revenir sur la genèse de la fameuse carte de la ZAD3  ?

C’est une collaboration avec Marc Vayer, qui participe à un atelier cartographie sur la ZAD, avec le trio Formes Vives qui réalise affiches et maquettes de journaux (notamment feu Article 11), ainsi que leurs enfants. 
Nous sommes partis de plusieurs cartes issues de ces ateliers pour en donner une interprétation collective, sensible. C’est aussi le fruit de discussions avec des habitants de la ZAD.
 On a voulu affirmer et imprimer l’existence d’un endroit important, lieu de vie et de travail, en ayant conscience que beaucoup de gens connaissent ce site de nom, mais que peu finalement le visualisent.
 C’est une carte qui met aussi en perspective l’histoire d’autres luttes, passées comme présentes.

Parallèlement, tu participes également au Voyage à Nantes – un onéreux raout servant de vitrine culturelle et médiatique à la ville et à sa mairie PS. N’y vois-tu pas une contradiction, un grand écart  ?

Je ne bosse ni pour la ZAD ni pour le Voyage à Nantes. 
Je construis des projets personnels ou collectifs et je suis toujours très clair quant à ma marge de manœuvre. Et puis ceux qui travaillent en interne au Voyage à Nantes ne sont pas spécialement pro-aéroport NDDL, faisons gaffe aux raisonnements simplistes ! De même qu’ils ne sont pas aux ordres de la mairie non plus. Des artistes réjouissants comme Erwin Wurm ou Roman Signer y sont invités, et ça ne m’empêche pas d’exposer le lendemain dans un squat à Bruxelles ou de participer à une kermesse dans un village paumé le surlendemain. Je fais aussi la différence entre le Voyage à Nantes et une pub pour Quick ou Coca, que je ne ferai évidemment jamais. Je ne suis pas un social-traître, je suis juste indépendant [rires]  ! L’indépendance, en actes et pas dans le discours, c’est très dur à faire comprendre. Il y a des enclos, des chapelles, des prés-carrés et des gens confortablement installés, aussi bien dans le milieu underground qu’institutionnel. J’estime qu’il y a des failles possibles partout.
 Je touche différents publics, je ne m’interdis rien. Idem concernant les milieux artistiques, de la bande dessinée à l’art contemporain en passant par les actions dans la rue.

Que ce soit tes activités éditoriales, collectives (Orbis Pictus, l’Armée noire) ou personnelles, le dessin est au cœur de tes travaux. On a pourtant l’impression que c’est souvent le parent pauvre de la profession  ? Tu trouves que ça évolue  ?

Je n’envisage pas ce que je fais comme une profession. «  Je suis un sur-amateur, les professionnels sont des pompes à merde  », pour paraphraser Francis Picabia. Je mets en place des situations. Il se trouve que ces situations prennent souvent la forme de dessins. Je me promène à l’intérieur de ces situations et en crée d’autres ensuite.
 Si effectivement le dessin a été pendant longtemps classé au rang d’art mineur, c’est moins le cas aujourd’hui. On peut dire qu’il est de plus en plus considéré et apprécié. De mon côté, je m’en fous complètement et me méfie des effets de mode et des postures. Dans l’environnement scolaire, très tôt, vers neuf ou dix ans, on te dit que le dessin est un truc pour gamins et qu’il va falloir passer aux choses sérieuses. 
J’ai continué à dessiner.
 Cette ritournelle est revenue aux Beaux-Arts, sous le prétexte fallacieux de l’expérimentation. Or, ce prétexte n’était pas servi à ceux qui faisaient de la vidéo. Je n’ai rien contre la vidéo, je souhaitais juste dessiner  ! Ce microcosme était au service – inconsciemment sans doute – , de préjugés. Je ne parle même pas de la bande dessinée, sujet quasi tabou lié à une méconnaissance inavouée  ! Ils ont un peu changé leur fusil d’épaule depuis, ils essaient de prendre le train en marche [rires]  !
 Je suis sans doute têtu mais surtout déterminé et animé par le dessin  : j’ai continué à dessiner encore plus. 
Et puis j’ai toujours eu un réel plaisir à inviter d’autres artistes dans plusieurs aventures collectives, histoire d’enfoncer le clou.
 À la suite de rencontres décisives, j’ai commencé à faire des installations et des perfs.
 Et continuer à dessiner  !

Nous vivons depuis deux mois au rythme des manifs contre la loi El Khomri, de Nuit Debout, etc.
Tu as fait des détournements de unes de journaux 4, fait parler des CRS au moyen de phylactères en carton dans les manifs  ! Artistiquement, cette situation t’inspire  ?

J’ai récemment fabriqué un mini hélicoptère de la gendarmerie, réplique de l’engin oppressant qui est de sortie à chaque manifestation. Je l’ai arrimé au bout d’un mât et de facto il me suit partout, je me promène avec !
 Si je m’implique à ma façon, je refuse l’étiquette «  militant  ».


Quels sont tes projets  ?

Je travaille sur des photos imprimées en puzzle, un livre avec Martin Page au Rouergue, des dessins dans les revues Franky (Les Requins Marteaux), Tranchée Racine (le journal de Blanquet) et un livre-disque5 avec La Colonie de Vacances.


1 Les éditions Joca Seria ont publié un recueil d’ex-voto porte-bonheur pour ces matchs d’improvisation graphique gravés sur… biscuits Pépito.

2 Un large choix de dessins de Quentin et le lien vers l’Armée Noire par ici !

3 Carte de la ZAD (dispo sur Alacriée et dans le n°141 de 
CQFD – mars 2016).

4 Une de Ouest-France annonçant «  Nantes, les casseurs perturbent la manif  » devient en cachant quelques lettres «  Nantes, les c…rs perturbent la manif  », Hé-hé  !

5 Projet quadriphonique et quadrigraphique avec Pneu, Electric Electric, Papier Tigre, Marvin (pour le son), Geoffroy Pithon, Marion Jdanoff, Double Bob, Quentin Faucompré (pour l’image).

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