Bédés
Un panaché de bédés s’il vous plait !
Des traits en Colombie
Le goût de la terre est la bande dessinée tirée des carnets de voyage en Colombie des dessinateurs Edmond Baudoin et Troubs que publient les éditions L’Association. La Colombie, terre de violence politique, où l’on croise les fantômes de Camillo Torres, le prêtre des pauvres qui rejoignit la guérilla de l’ELN en 1965 et fut tué par l’armée peu après ; de Jaime Pradi, candidat syndicaliste abattu en 1987 ; ou encore de Jaime Garzón, humoriste subversif assassiné par les paramilitaires en 1990. C’est surtout le pays du plus vieux mouvement insurrectionnel en activité, celui des Farc, initié en 1964 par un important mouvement paysan afin d’obtenir la réforme agraire et qui constitue aujourd’hui une armée au territoire jalousement gardé. Face aux Farc, les paramilitaires avec leur cortège de massacres et, au milieu de cette guerre de contrôle des zones, une population ballottée et sans cesse déplacée. Nos deux dessinateurs sont partis cinq semaines dans la jungle colombienne à la rencontre de ces femmes et de ces hommes, qui ont voulu témoigner de leur drame pendant qu’on leur faisait le portrait.
« Ce livre d’une cinquantaine de portraits faits sur une région de Colombie exclusivement agricole met en évidence un problème, nous confie Baudoin. Je ne l’ai découvert qu’à la relecture, le livre était déjà sous presse : Il n’y a que trois portraits de paysans. L’un est de France, Raymond, l’ami de Troubs, un homme qui n’a jamais quitté sa terre. Le deuxième, Filipo, revient sur celle de son père. La troisième Chatica, commandante des Farc, se bat pour la terre. L’évidence est que les humains qu’on déplace de force perdent le goût de la terre, même si le déplacement est à l’intérieur du même pays. C’est vrai pour le paysan, mais aussi pour l’ouvrier avec “son” usine. Je crois à ce vieil adage : “Un homme est un livre.” Mais pour lire un livre, il faut d’autres hommes sachant lire. Un homme déplacé de force se retrouve dans un désert de lecteurs. Il n’est plus personne. Les pages du “livre qu’il est”, sont éparpillées, ailleurs. »
De ce conflit sans fin lié désormais à l’économie de la drogue, les auteurs tirent une conclusion politique : l’issue devra passer par la législation contrôlée de la coca.
M. L.
Paroles d’exil : de Cuba au Viêt-Nam
Il est toujours assez navrant de constater la complaisance dont fait preuve une frange de la gauche dite « radicale » envers le régime castriste. Au prétexte que Cuba tiendrait tête à l’impérialisme yankee depuis un demi-siècle, toute critique de la politique de Castro serait à mettre sous le boisseau. Histoire de bien mettre les points sur les « i », la bande dessinée Printemps Noir1 s’ouvre sur un avant-propos tiré de la bouche de Canek Sanchez Guevara, petit-fils du « Che » : « A Cuba, il n’y a pas seulement une dissidence de droite, comme on veut le faire croire. […] Toute cette merde que l’on déverse : “tous les dissidents cubains sont payés par la CIA et le gouvernement des états-Unis”, tout cela est un mensonge vulgaire. […] Je me situe dans la gauche critique de la gauche. » Alejandro González Raga, héros malgré lui du récit, n’a pas cette prétention-là. Né à l’aube de la révolution menée par les barbudos, cet humble fabricant de godasses va peu à peu prendre conscience de l’insupportable hypocrisie dans laquelle baignent les discours-fleuves du Líder Máximo : « Cuba m’apparut désormais à moi-aussi comme une prison à ciel ouvert. » Après un premier passage en taule pour avoir aidé un ami candidat à l’exil, il crée un journal indépendant sur la commune de Camagüey. Harcelé par la police politique, il finit par faire partie de la charrette des 75 dissidents qui seront arrêtés en mars 2003 : le sinistre Printemps noir. Cinq ans de geôle au compteur, Raga sera finalement extradé en Espagne à la faveur de tractations diplomatiques entre les deux pays. Mis en couleur par des dessins tout en finesse et douceur de Thomas Humeau, le témoignage d’Alejandro González Raga, recueilli à Madrid par le scénariste Maxence Emery, réussit le pari de nous faire vivre de l’intérieur le cheminement d’un individu « banal » en butte à la violence d’un pouvoir sclérosé par sa propre mythification.
Décidément bien inspirées, les éditions La Boîte à bulles sortent dans la foulée Quitter Saigon – Mémoires de Viet Kieu2 du jeune auteur Clément Baloup. Marseille, Aix-en-Provence, Paris, Cholet et Saint-Livrade-sur-Lot, Baloup est allé à la rencontre d’exilés vietnamiens (surnommés les « Viet Kieu ») ayant fui les ravages de trente années de guerre ou les rétorsions du régime communiste arrivé au pouvoir en 1975. Alternant vues monochromes et jaillissements fauves, le pinceau de Baloup retrace cinq parcours d’une immigration peu connue. La palme du récit le plus hallucinant revient à Jacques qui a quitté Saïgon fin avril 1975. Après avoir descendu le Mékong, il va se retrouver, avec des dizaines d’autres migrants, piégé en haute mer sur une barge grillagée de la taille d’un terrain de tennis. « La journée, le soleil nous brûle sans qu’on puisse lui échapper. La nuit, le vent nous glace et nous empêche de dormir. Notre attente ne tarde pas à se transformer en un calvaire. » Un chalutier finira par venir aider ces « boat-people » à la dérive et Jacques sauvera sa peau à la faveur d’une cascade digne d’un blockbuster hollywoodien.
S. N.
Dieu en slip
A l’origine, Dieu posait le gazon le troisième jour, Adam et Ève jouaient au badminton dans le jardin d’Eden, Jésus était un surfeur, Jean-Paul II connaissait les affres de la vie de rock star, tandis qu’un des neuf cercles de l’Enfer consistait à prendre le métro aux heures de pointe… pour l’éternité. Après s’être attaqué à la créature avec Pinocchio (éditions les Requins Marteaux) en 2008, Winshluss défie désormais le créateur. Présenté par St-Francky, saint patron des amateurs de houblon et de bédé, In God we trust (éditions les Requins Marteaux) revisite en une centaine de pages les Saintes Écritures à travers les lunettes (3D) de la sous-culture contemporaine et de l’humour trash-macabre qui fait la facture de l’ancien chef de rayon du supermarché Ferraille.
À vrai dire, depuis les Monty Python et Cavanna – hasard de l’édition, Geluck vient de publier une Bible selon le chat –, le détournement du récit biblique est un exercice de style bien connu, ce qui peut laisser parfois l’impression d’une déclinaison un peu attendue. Mais ne boudons pas notre plaisir, ici, on se gondole, sans se faire prier, de la touche du Tout-Puissant façon Big Lebowski, des rapports père/fils entre God et Jésus ou des offres promotionnelles fallacieuses pour le paradis. Les opposants au mariage pour tous goûteront particulièrement la dernière séquence de l’album…
Enfin, on appréciera encore et toujours l’art parodique des publicités des années 50 dont Winshluss est incontestablement le maître. C’est sans doute un chouïa moins époustouflant que Pinocchio, qui avait atteint des sommets, mais on n’est pas obligé de comparer.
M. L.
1 Printemps Noir, Thomas Humeau et Maxence Emery, La boîte à bulles, 2013.
2 Quitter Saigon – Mémoires de Viet Kieu, Clément Baloup, La boîte à bulles, nouvelle édition 2013.
Cet article a été publié dans
CQFD n°116 (novembre 2013)
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Paru dans CQFD n°116 (novembre 2013)
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Mis en ligne le 24.12.2013
Dans CQFD n°116 (novembre 2013)
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17 février 2014, 13:17, par Maboulox
Dieu en slip, des curés pédophiles, vous allez avoir des problèmes avec les indigenes de la république. Ho wait...