Sophocle fait des saltos dans sa tombe
Parmi les groupuscules, tous plus croquignolets les uns que les autres, nés des mouvements d’opposition au « mariage pour tous », il en est un qui a réussi le pari improbable de mêler surréalisme, théâtre de l’absurde et Grèce antique : les Antigones.
Ces dames-là ne mènent pas un combat féministe, mais « féminin ». Pour éviter d’être confondues avec des émules d’Olympe de Gouges, elles préfèrent au pantalon de délicates robes blanches à dentelles, conspuent la mystérieuse et toujours introuvable « théorie du gender » et s’assument essentialistes. Elles ne sont ni hystériques, ni vulgaires, ni échevelées, mais souriantes et polies, avec des tresses. Et loin d’articuler une pensée ou de porter un discours, elles affichent une difficulté ostentatoire à prononcer des mots de plus de trois syllabes.
Bien sûr, elles ne se refusent pas deux ou trois clichés (appartenance à diverses formations identitaires1, attachement au mariage et à la famille, citations ronflantes sur l’amour plus fort que la haine). Mais elles sont aussi capables de surprendre ! Ainsi se sont-elles rendues, en juillet dernier, à l’ambassade de Tunisie à Paris afin d’y mener une « action réparatrice ». Rappelons qu’Amina Sboui, militante féministe tunisienne, a été incarcérée début juin dernier pour avoir peint le mot « Femen » sur le mur d’un cimetière [et qui depuis a pris ses distances vis-à-vis des Femen – Ndlr]. Ladite organisation est cornaquée par Inna Shevchenko, qui a reçu le soutien du gouvernement français dans cette affaire ainsi qu’un asile politique médiatisé et une série de timbres Marianne à son effigie. Protestant contre cette collusion et clamant leur refus de l’impérialisme culturel français, les Antigones sont donc allées offrir du pain et du sel à l’ambassadeur tunisien, à Paris, avant qu’une séance photo n’immortalise leurs sourires béats.
S’il peut paraître surprenant que l’on investisse du temps et de l’énergie dans la perpétuation de sa propre domination, l’existence de femmes skins, lepénistes, voire fans d’Éric Zemmour est d’ores et déjà établie. Mais une extrême droite préoccupée de rompre avec les traditions coloniales françaises en apportant son soutien à un pays du Maghreb, voilà qui est tout à fait inédit ! Et aussi surprenant que la clairvoyance des Antigones sur un point – la France n’a aucune leçon à donner en matière de féminisme.
Chez leurs ennemies jurées d’en face, les Femen, qui semblent exister avant tout pour faire de belles photos et crier des slogans simplistes, l’on continue de s’ébattre dans une virulence sans bornes contre l’islam2. Celle-ci n’a pas franchement l’air de choquer leur cortège de soutiens de gauche (malgré les timides bémols de quelques-uns au PS et de Caroline Fourest), toujours plus enclins à faire passer leur aversion envers les mahométans pour du féminisme. Mona Chollet avance d’ailleurs que si la gauche déteste autant les musulmans, c’est peut-être parce qu’elle se déteste elle-même de ne plus croire en rien3. Par le biais des Antigones et de leur « anti-impérialisme » affiché, l’extrême droite – sans doute plus à l’aise avec la notion de foi – vient donc d’attaquer la « gauche » sur sa gauche. Tout va bien.
1 Parmi les Antigones – qui s’affirment apolitiques – ont été identifiées des membres du Renouveau français, des Identitaires cannois et de Génération identitaire.
2 Tweet utile et fort à propos diffusé par Inna Shevchenko le 15 juillet dernier : « Qu’est-ce qui peut être plus stupide que le Ramadan ? Qu’est-ce qui est plus moche que cette religion ? »
3 Périphéries, août 2013.
Cet article a été publié dans
CQFD n°114 (septembre 2013)
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Paru dans CQFD n°114 (septembre 2013)
Dans la rubrique Queen Kong Kronik
Par
Illustré par Caroline Sury
Mis en ligne le 22.10.2013
Dans CQFD n°114 (septembre 2013)
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