Érection, piège à cons

Par Caroline Sury.

Quand soudain, c’est le drame  : l’homme avec qui nous étions joyeusement en train de nous ébattre débande1. Alerte maximale, branle-bas de combat, mayday mayday et, surtout, dilemme : que faire2  ? On nous a dit qu’il fallait lui assurer que ce n’était pas grave, on nous a dit qu’il ne fallait surtout pas faire comme si ce n’était pas grave, on nous a dit de faire comme si de rien n’était, on nous a dit de l’aider à rebander fissa. Parmi toutes ces consignes passablement contradictoires, on ne sait jamais laquelle choisir et de toute façon, quoi qu’on fasse, il y a deux chances sur trois pour que notre partenaire se sente (au choix) diminué, ridiculisé ou floué.

Face au cas inverse, en revanche, – lorsque c’est nous, femme, qui débandons –, à aucun moment, nulle part, jamais personne ne nous a donné le moindre petit début de marche à suivre. Même le mot n’existe pas : qui parmi nous s’est déjà imaginée « démouiller » ?

Certes, les différences sont notoires  : la principale manifestation physique du désir masculin, l’érection, est difficilement camouflable, difficilement falsifiable et… difficilement évitable quand il s’agit de pénétration. Tandis que leurs homologues féminins peuvent faire semblant, mettre du lubrifiant – ou tout simplement souffrir en silence.

Les inéluctables conséquences de cet état de fait sont que lorsqu’un homme débande, le rapport s’interrompt  : sa partenaire, en proie aux doutes les plus violents, sombre immédiatement dans les débats intérieurs suscités et finit immanquablement par se voir opposer une contingence physique indépendante de la volonté humaine – fatigue, lois de l’attraction terrestre ou toxicomanie passagère. En revanche, lorsqu’une femme débande, il ne se passe rien. Au mieux, une grimace. Un froncement de sourcil. Une ombre sur le visage.

Dans une écrasante majorité de cas, y compris chez les plus libérées, émancipées et politisées d’entre elles, les femmes n’assument pas d’interrompre elles-mêmes un rapport sexuel. Ce qui signifie que les femmes ne déterminent toujours pas la temporalité des rapports, qui continuent de s’organiser essentiellement autour de l’érection, donc de l’homme. Mais aussi qu’en matière sexuelle, il est toujours attendu de l’homme qu’il « sente », « sache » et « s’y connaisse ». Et enfin qu’au fond d’elles-mêmes, nombre de femmes estiment ne pas vraiment avoir le droit de changer d’avis au milieu d’un rapport  : ça fait allumeuse, le corps ne l’impose pas et le désir pourrait très bien revenir d’une minute à l’autre.

Pour finir, gratifions-nous d’un incontournable couplet sur l’obsession de la performance dans les sociétés capitalistes et a fortiori néolibérales. Nous n’en voulons pas, n’est-ce pas  ? Alors vivons notre désir avec toute la tranquillité et la liberté qu’il exige. Disons qu’on a envie, pas envie, plutôt envie de ceci et moins envie de cela. Ne forçons rien sauf quand ça nous excite, n’imposons rien sauf quand ça excite, et nous banderons quand nous aurons envie de bander3.


1 L’auteure de cette chronique s’excuse d’ores et déjà du caractère honteusement hétéronormé de cette chronique. Bisous.

2 Comme disait Lénine.

3 Vous avez bien lu, ceci est vraiment issu d’un dialogue des Valseuses. Décidément.

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1 commentaire
  • 14 avril 2015, 03:48, par XL

    Cela peut aussi continuer sans érection ou sans pénétration même dans les rapports hétéronormés ...CQFD

    Les normes sexuelles ( préliminaires - pénétration - fin ) sont des rapports de dominations à déconstruire ou à ignorer et esquiver

    Des bisous

    • 14 avril 2015, 14:26, par Un homme

      Salut. Le titre est super ! Être attentif à l’autre et formuler devrait éviter tout désagrément . Après, les garçons, faudrait qu’ils arrêtent de se prendre pour les plus forts . Un peu d’humilité serait pour le moins bien venue. Faudrait qu’ils lisent le bouquin de Stoltenberg ,Pour en finir avec la virilité http://www.syllepse.net/lng_FR_srub... Personnellement j’essaie de me déconstruire un peu tout les jours mais c’est un travail et je ne prétends pas toujours être au top . Après si une partenaire sexuelle me dis stop, je n’insiste pas car c’est son droit . J’essaie d’être le plus attentif à l’autre et j’attends aussi une réciprocité . Le problème c’est s’il n’y a pas de formulation et que je ne me rende pas compte mais j’ai remarqué qu’avec le temps je suis plus attentif ... Le sexe c’est une affaire de plaisir et de communication(sans smartphone !) donc il ne devrait pas y avoir de déplaisir. Quand il y a "interruption"effectivement les gros câlins devraient prendre le dessus. Paix et Amour ,c’est à mettre en pratique !

    • 15 avril 2015, 10:31, par Jean-Jacques

      Le sexe comme outil de communication ? Je vous trouve bien cérébraux. Ce qui se passe avant d’arriver au pieu est quand même beaucoup plus déterminant pour la suite, y compris pour le kif et l’abandon qu’on va s’y donner.

      Et puis, dès qu’il y a du sentiment, la bandaison perd son beau caractère automatique, parce que qui dit sentiment dit admiration et dit doute. Peut-être que si Robert ne bande pas, c’est parce qu’il aime.

    • 15 avril 2015, 17:14, par Olympe

      "Etre attentif à l’autre", "formuler", "éviter tout désagrément", "ne pas se prendre pour le plus fort", "être humble", "communiquer", "respecter les droits de son partenaire", "en cas de panne, poursuivre", "en cas de panne, faire des câlins", "mettre en pratique le message de paix et d’amour", "se déconstruire un peu chaque jour"...Le bien étrange manuel que vous nous proposez là ! Il semble écrit d’une main. Et tout ça ne nuit en rien à la spontanéité de vos élans ? Excusez-moi, mais il me semble que si j’étais votre amie, je m’ennuierais quand même un peu. La délicatesse et l’attention sont indispensables, mais elles ne sont pas tout. J’entends la virilité comme l’amour de moi, et j’attends qu’elle déborde et qu’elle piaffe. Que soient alors abolis la communication, le droit des uns et des autres, et autres idées si bizarrement sociales. Que la société et les droits de l’homme sortent de mon lit ! Jouir, un droit ? C’est une grâce que j’ai pour avoir bien choisi mon partenaire. Jouir, jouir, jouir à tout prix...mais non ! S’il ne bande pas, on cause, on dort, ou on sort. Et basta !