Réindustrialier la France !

Ce n’est pas toujours facile de tenir une chronique mensuelle dans CQFD depuis si longtemps surtout quand le mois de février est si court et que ce qui se passe dans l’usine est… dans la lignée de ce qui se passe habituellement.

Par Efix.

J’aurais pu vous parler de Lucien, ancien collègue, que l’amiante vient de tuer, après des mois de souffrance. C’était un militant intègre qui a passé une bonne partie de sa vie à l’usine à dénoncer les problèmes d’hygiène et de sécurité, les sales produits qu’on utilise ainsi que les mauvaises conditions de travail. à l’époque il ne savait pas que l’amiante avait commencé à lui bouffer les poumons. Il ne l’a appris que sur le tard et c’est cette saloperie qui a eu le dessus. Il n’y a pas de 11 novembre pour les prolos, mais l’usine ressemble à un champ de bataille et les morts s’accumulent. Parmi eux beaucoup de copains.

Et si on allait voir plutôt du côté de la franche bonne humeur qui règne dans la boîte ? Une fois débarrassé des procès concernant la catastrophe de Toulouse, Total a vendu nos usines. Ce n’était pas franchement l’euphorie chez les salariés mais c’était une phase attentiste qui permettait de repousser les problèmes à plus tard. Avec l’arrivée de la nouvelle société, des boss, pour la plupart belges, prenaient leurs fonctions en se la jouant cool mais déterminés à faire-marcher-les-installations-à-plein-régime-pour-devenir-la-deuxième-entreprise-dans-le-secteur-des-engrais-en-Europe (juste derrière les Norvégiens de Yara, très bien implantés en Europe du Nord). Intoxiqués par leur propre prose managériale, ces dirigeants pensaient sans doute qu’il suffirait d’avoir la volonté pour que ça marche. Et ils ont fait beaucoup dans la communication, les open forums et autres gadgets de com.

Sauf que rien n’a changé. Au cours des dix dernières années, Total, en voie de désengagement du secteur, n’a pas investi dans ces unités, uniquement pour des réparations obligatoires et à cause des pressions administratives. D’où les pannes et les fuites dans les ateliers qui forment notre lot quotidien. D’où la tension permanente chez les ouvriers travaillant avec du gaz naturel, de l’hydrogène et manipulant de l’ammoniac et des acides forts. C’est souvent dangereux. Du coup, on se retrouve avec des ateliers plus souvent arrêtés qu’en fonctionnement. Il faut faire des manœuvres pour démarrer les installations, puis, aussitôt après en faire d’autres pour arrêter tout. Les réparations sont faites a minima, dans la précipitation et le stress, histoire de montrer aux nouveaux proprios que ça peut marcher. Mais on passe souvent à côté de « points critiques », voire pire.

Donc, tout le monde en a marre. Les gens sont fatigués, usés de s’activer pour rien. Certains ne sont pas loin de la dépression, le médecin du travail a même évoqué des cas de « burn out  ». Rien ne change, ou presque. D’ici deux mois, des dizaines de millions d’euros d’investissements sont programmés. Des travaux vont avoir lieu. Plus de 800 travailleurs sous-traitants vont bosser pendant deux mois sur l’usine pour tenter de remettre les machines d’équerre. Mais personne n’y croit plus, le chantier arrivant bien trop tard. Et, surtout, malgré la somme engagée, une grande quantité de travaux de fiabilisation ne pourront pas être réalisés.

D’autre part, notre nouvelle société, Borealis, a annoncé une perte de 38 millions d’euros sur son secteur engrais français en six mois d’acquisition. Bon, inutile de sortir les mouchoirs puisque le groupe annonce des bénéfices de plus de 400 millions sur ses autres activités. Du temps de Total, nos usines avaient accumulé des pertes de 300 millions sur 5 années, mais c’était Total et on est en droit de penser qu’il s’agissait surtout de jeux d’écriture comptable.

Bref, ce climat lourd entraîne le retour d’aspirations qui avaient disparu ces derniers mois. Voilà que les plus anciens commencent à rêver d’un plan social. Si si. Quelque chose qui ferait qu’ils pourraient partir avant la durée légale…

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