Qui cuisine ce soir ?
Une trentaine de mètres carrés. Du carrelage blanc sur les murs. Des tables en bois avec leurs bancs. Trente-sept couverts et trois services successifs. Les propositions écrites à la craie sur un tableau. Un resto banal ? La Rôtisserie Sainte-Marthe a une autre idée derrière la tête, peut-être inspirée par cette évidence qui veut que les pierres aient une mémoire. Faits marquants de ce quartier populaire historiquement réfractaire, c’est à la distance de quelques coups de canon de cette rue Sainte-Marthe, dans le Xe arrondissement de Paris, qu’ont résisté les dernières barricades des soulèvements parisiens du xixe siècle. C’est dans ce même quartier qu’en 1924, syndicalistes anarchistes et communistes d’obédience bolchevique échangèrent des coups de feu lors d’un meeting, rue de la Grange-aux-Belles. Et c’est aussi dans cette rue Sainte-Marthe que la libertaire Confédération nationale du travail (CNT) aura des locaux où se rencontreront ex-combattants de la révolution espagnole, militants anarcho-syndicalistes et réfractaires de 68.
« On est sur la ligne de front de la gentrification du Nord-Est parisien », dit Mathieu, membre de l’assoc’ qui s’occupe de La Rôtisserie. Dans cet espace Oberkampf-Saint-Martin sont arrivés un grand nombre de nouveaux habitants aux looks cool et ayant de bons revenus, avec, en conséquence, l’ouverture de cafés branchés, la disparition des petits commerces remplacés par des magasins branchés, etc. » Dans ce quartier, resté pour quelque temps encore populaire, La Rôtisserie conserve l’esprit du restaurant ouvrier traditionnel, avec plats copieux et tarifs bas. À midi, des habitants et des salariés du coin s’y retrouvent autour de repas élaborés dans l’esprit de la cantine de quartier. Ce sont alors les salariés en contrats aidés de l’association qui s’affairent en cuisine et dans la salle. « Le soir, le resto passe aux mains des associations qui cherchent un peu d’argent pour mener à bien leurs projets », poursuit Mathieu. Car l’association qui gère La Rôtisserie ouvre ses portes à plus de 130 autres qui, après avoir payé une cotisation de vingt euros à l’année, organisent entièrement des soirées et participent, lors des assemblées générales, aux décisions concernant le lieu. Pour un soir ces assoc’ versent de 60 à 70 euros à La Rôtisserie, afin de couvrir les frais d’électricité, d’entretien et pour contribuer aux salaires des sept contrats aidés. Tous les bénéfices sont conservés par ceux qui font la bouffe et le service. Conditions : le menu ne doit pas dépasser 10 euros et le plat 5 euros. La soirée n’est pas privée et reste ouverte à tous. À tour de rôle, chorales, collectifs d’artistes désargentés, associations de quartier, salariés en grève, comités de soutien à des inculpés et des emprisonnés, et autres collectifs s’activent aux fourneaux. « On a comme politique de ne pas faire de sélection. Elle se fait d’elle-même dès l’instant où on a compris qu’on n’est pas des prestataires de service, dit Mathieu. Ce qu’on fait s’inscrit dans une remise en cause de la société. » La lutte continue ! À table !
Cet article a été publié dans
CQFD n°85 (janvier 2011)
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Paru dans CQFD n°85 (janvier 2011)
Dans la rubrique Ma cabane pas au Canada
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Mis en ligne le 04.02.2011
Dans CQFD n°85 (janvier 2011)
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