Nous sommes sans limites, nous sommes orphelins

« Brûlez vos écoles, arrachez vos chaînes – Ouvrez les paupières, la colère est prochaine. » Ainsi s’engage le titre « Impératif présent », grenade bluesy qui ouvre les hostilités de la dernière galette de Première Ligne, groupe de rap hardcore. Tiré à quelque mille exemplaires, le CD est disponible depuis le 18 mars sur la plateforme en ligne bboykonsian (cf. CQFD n°103). « Lâchez vos peurs et toutes vos certitudes – Coupez l’émetteur, rendez-vous sur le bitume. » Le bitume, c’est celui du 93, Seine-Saint-Denis, territoire que se disputent à la fois les épigones télégéniques d’une république chancelante et une poignée de lascars libertaires bien décidés à faire de leur département une nouvelle zone d’autonomie à défendre – « C’est pas la France, c’est le 93 !  »

Aux platines, on retrouve Akye ; aux textes et à la scansion E.One et Skalpel. « L’album a été pensé dans une ambiance scénique. Dernièrement, on a fait beaucoup de concerts et dans ce disque, on a essayé d’en récupérer les vibes, de les retranscrire. Du coup, sur les 18 titres de l’album, on en joue 15, 16 sur scène », explique Skalpel. Trempés dans la soude, les textes sont quasiment tous satellisés autour de « ce mal être existentiel que peut ressentir une personne vivant dans le 93, lié à des thématiques politiques ». Politique, Première Ligne l’est jusqu’à l’os d’une militance outrancière – « Qui veut du rap lourd ? Qui a la dalle ? Qui veut la guerre ? Qui paye sa bière après le freestyle ? » –, ajournant avec dérision l’heure du dépôt de bilan – « Y’a pas de solution, au dessus de la capitale - Rien n’est stable à part la pollution ». Les ennemis – politiques – sont dénoncés sans ambages : icônes capitalistiques – «  Si seulement tu savais, madame la banquière, monsieur l’assureur, ce qui m’en coûte quand je tempère ma fureur » – ou de l’ordre sécuritaire – « T’es qu’un flic de Paname, un pauvre type, Aïe ! Et tu l’as choisi, sale larbin. » Plage 6, on trouve un interlude. Sonorités carcérales. Sample soul. Discussion entre deux hommes autour de l’engagement militant. « C’est un montage réalisé par Akye. La séquence est extraite du film Hunger de Steve McQueen. Il y a cette longue scène en prison entre le prêtre et Bobby Sands. On avait repéré que dans le dialogue, il était question de première ligne, on s’est dit que ça serait intéressant de s’en servir. »

Et ce morceau « Prisons de poupées » ? E.One : « C’est une chanson d’amour, en fait, née d’une prise de conscience simple : toutes les formes d’oppressions (raciales, sociales, existentielles, etc.) sont plus difficiles à subir pour une femme que pour un homme. Je me suis imaginé subir toutes les offenses, les humiliations et les vexations d’une femme en une journée, moi avec mon éducation d’homme blanc, j’ai essayé de ressentir cela. » Qu’on y goûte : « J’suis l’indigène, la négresse – l’Arabe ou l’Indienne bonne qu’à servir ou finir les restes – Objet du désir et de toutes les condescendances ethniques, exotiques, tribales et tendance. »

Trio taillé pour le live, Première Ligne va sillonner l’Hexagone et exporter son gros son jusqu’aux terres outre-alpines. Skalpel : « On est pote avec quelques groupes italiens, notamment Drowning Dog et Malatesta. Sur Milan, il y a le réseau des centres sociaux qui nous accueille et programme pas mal de rap. »

Au final, c’est un paysage à la fois atomisé et étonnamment ramassé sur ses muscles que nous livre ces rappeurs, bien conscients que leur « seule faute, c’est d’être trop libres, trop vivants ».

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