Deux mandats de lepénisation des esprits
Macron ouvre la voie au fascisme
Titre original : Macron, « fourrier du fascisme » ?
Ancien chroniqueur dans ces pages et actuel journaliste à Blast et Politis, Sébastien Fontenelle vient de publier Macron et l’extrême droite – Du rempart au boulevard (Florent Massot, en coédition avec Blast). L’occasion de revenir avec lui sur des années de création par le régime Macron d’un « arc républicain » à même de rivaliser avec l’extrême droite.
Dans ton ouvrage, tu définis le « macronisme », non pas comme un gouvernement fasciste, mais comme un régime qui prépare le possible avènement du fascisme.
« Je pense qu’il installe, jour après jour, “la possibilité du fascisme”1. Rien, chez Emmanuel Macron, ne permettait de prévoir qu’il creuserait un tel boulevard devant l’extrême droite après son élection à la présidence de la République en 2017. On savait que son programme prétendument “disruptif” n’était jamais qu’une énième déclinaison du dogme thatchériste. Mais pendant sa campagne de 2017, il avait quand même dit, sur deux ou trois sujets, comme les violences policières, des trucs pas complètement odieux. Il se présentait d’ailleurs comme un rempart contre l’extrême droite. Dans son livre programmatique Révolution – ne riez pas –, publié en 2016, il écrivait : “Si nous ne nous ressaisissons pas […], dans cinq ans, ou dans dix ans, le Front national sera au pouvoir.” Il promettait, implicitement, d’empêcher, s’il était élu, un si funeste avenir. Une promesse mensongère. Dès les premières semaines de son règne, il a commencé à faire preuve d’une constante complaisance pour l’extrême droite, en lui adressant des signaux très directs quand il a par exemple projeté en 2018 d’“honorer” la mémoire du “grand soldat” Pétain, ou quand il a ensuite accordé un entretien exclusif à l’hebdomadaire d’extrême droite Valeurs actuelles. »
Ces appels du pied sont-ils idéologiques, ou ont-ils pour objectifs de séduire des électeurs d’extrême droite ?
« Difficile de répondre. Je continue, aujourd’hui encore, à me demander ce qui anime réellement les macronistes. L’astucieuse stratégie consistant à débiter des saloperies altérophobes toujours plus dégueulasses dans l’espoir de récupérer les suffrages de l’extrême droite n’est pas exactement une nouveauté. Elle transcende largement les clivages partisans et la “gauche” à guillemets y a succombé. Mais ces votant·es prétendument égaré·es semblent décidément préférer, comme l’avait fort justement formulé Jean-Marie Le Pen, “l’original à la copie”, de sorte que depuis toutes ces années, la constante droitisation de la classe politique hexagonale se traduit, et sauf rares exceptions, par une progression tout aussi constante des scores électoraux du Rassemblement national (RN). Il est plus que probable que les macronistes cherchent eux aussi à séduire cet électorat d’extrême droite par les mêmes moyens dégueulasses qui ont si mal réussi à leurs prédécesseurs. Pour autant, je pense qu’il y a autre chose chez Macron, mais je ne suis pas sûr de pouvoir le définir exactement. Si on ajoute les facilités consenties à un Gérald Darmanin, laissé libre de disserter dans son dernier bouquin sur “les difficultés touchant à la présence de dizaines de milliers de Juifs en France” à l’époque napoléonienne ou de citer l’historien maurassien Jacques Bainville à la tribune de l’Assemblée nationale, j’ai tendance à penser que nous sommes en présence de quelque chose d’un peu plus compliqué qu’une simple stratégie électorale. La verticalité du règne macroniste, ses brutalités constantes – verbales, policières, etc. –, ses atteintes répétées et de plus en plus fréquentes aux libertés fondamentales : tout cela crée, disons, un climat… »
Tu reviens à plusieurs reprises sur les violences policières. Est-ce que l’on est arrivé au point où le gouvernement craint ses propres forces de l’ordre ?
« Ce qui est certain, c’est qu’elles bénéficient d’une impunité à peu près illimitée. Ne serait-ce que parce que le même Macron qui, lorsqu’il faisait campagne en 2017, se montrait intransigeant sur le sujet des violences policières, défend, depuis son élection, une position exactement inverse – et va même jusqu’à exiger qu’on “ne parle pas de répression ou de violence policière”, car “ces mots sont inacceptables dans un État de droit”.
On se rappelle surtout le moment hallucinant où les policiers qui avaient grièvement blessé Hedi à Marseille l’été dernier ont reçu, après leur mise en examen et un placement en détention provisoire, le plein soutien de leurs collègues, qui se sont en quelque sorte mis en grève pour protester contre la décision de justice. Mais aussi et surtout celui de Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale, qui, plutôt que de les rappeler à leurs obligations professionnelles, a aussitôt déclaré comprendre leur “émotion” et leur “colère”. Ce haut fonctionnaire a défendu l’idée que ses troupes devraient bénéficier, contre toutes les règles de droit, d’une exception légale – et il a immédiatement reçu l’appui de Darmanin, qui s’est même engagé, selon certains de leurs représentants syndicaux, à “étudier la loi” pour essayer d’assurer aux policiers un statut judiciaire dérogatoire. Reste à savoir si ces concessions trahissent de la “peur” ou si elles sont une manifestation, parmi tant et tant (et tant) d’autres, du basculement autoritaire d’un régime qui en est tout de même, alors même qu’il a autorisé dans le passé des rassemblements néofascistes, à interdire des manifestations de soutien à la Palestine au prétexte que certain·es manifestant·es pourraient tenir des propos inconvenants… »
Tu rappelles dans ton livre que le macronisme travaille à sortir la gauche de gouvernement (LFI) de « l’arc républicain ». Pourquoi, dans une logique électoraliste, le gouvernement ne fait-il pas de même avec l’extrême droite ?
« La Première ministre Élisabeth Borne et la plupart des membres de son gouvernement prennent soin, lorsqu’ils les excluent verbalement du “champ républicain” – cette sinistre plaisanterie –, de toujours associer dans un même opprobre ce qu’ils appellent “l’extrême gauche”, c’est-à-dire La France insoumise (LFI), et l’extrême droite. Ce qui est extraordinairement pernicieux : d’une part parce que la gauche insoumise, sagement sociale-démocrate, n’a vraiment rien d’une extrême gauche, et d’autre part, et surtout, parce qu’en suggérant ainsi, avec une obstination assez obsessionnelle, que l’extrême droite xénophobe et antisociale ne serait pas plus dangereuse que la gauche antiraciste et socialiste, les macronistes rendent à la première un immense service. En somme, même quand ils prétendent combattre – verbalement – l’extrême droite, ils la servent. »
Pourquoi n’évoques-tu pas la politique migratoire du macronisme dans ton livre ? Ne favorise-t-elle pas elle aussi l’extrême droite ?
« Je rappelle, dès le tout début du livre, que les décennies qui ont précédé l’élection de Macron ont été ponctuées par des déclarations toutes plus gerbantes les unes que les autres de ses prédécesseurs – de Jacques Chirac et ses tristement célèbres considérations sur “le bruit et l’odeur” des “étrangers” à François Hollande déclarant qu’il y avait “trop d’arrivées, d’immigration qui ne devrait pas être là” en passant évidemment par Nicolas Sarkozy, dont même le Conseil de l’Europe avait observé qu’il entretenait en France un “climat de xénophobie”. Macron, dans beaucoup de domaines, va beaucoup plus loin que ses devanciers, avec des signes très directs et très concrets en direction de l’extrême droite, lorsqu’il banalise le recours à la brutalité policière, ou encore lorsqu’il attente jour après jour aux libertés publiques : ce sont ces traits, à mon avis assez nouveaux par leur ampleur et leur régularité, qui m’intéressent. Mais sur le sujet de l’immigration, ce que dit et fait Macron n’est pas vraiment pire, au fond, que ce qui s’est dit et fait depuis tant d’années : cela s’inscrit dans le droit fil d’une déjà longue tradition de dégueulasseries oratoires et législatives toujours recommencées. Paradoxalement, ce n’est pas là qu’il apparaît le plus nettement en fourrier du fascisme… »
1 Voir l’entretien avec le sociologue Ugo Palheta : « Le danger central, c’est la fascisation de l’État », CQFD n°221 (juin 2023)
Cet article a été publié dans
CQFD n°224 (novembre 2023)
Sidérés. Par les milliers de morts, les bombardements, l’ouragan de haine, de désinformation et d’indignation sélective qui ont accompagné la guerre au Proche-Orient et la guerre entre Israël et les factions palestiniennes. Voilà ou nous en étions, en essayant de concocter ce numéro 224 de CQFD. Alors, comme début d’une réflexion, on a donné la parole au collectif juif décolonial Tsedek ! et on est allés faire un tour dans les manifs pour la Palestine. Dans nos pages, aussi des nouvelles de Marseille, toujours autant vampirisée par la plateforme AirBnb, mais qui s’organise pour lutter contre. On y propose aussi un suivi du procès des « inculpés du 8 décembre » et ses dérives, on y dézingue les « ingénieurs déserteur ». Côté chroniques, #Meshérostoxiques interroge l’idole de jeunesse Sid Vicious, #Dans mon Salon fait un tour au Salon des Véhicules de Loisirs et #Lu Dans nous donne à lire les anarcho-communistes allemands.
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Paru dans CQFD n°224 (novembre 2023)
Par
Illustré par Elena Vieillard
Mis en ligne le 17.11.2023
Dans CQFD n°224 (novembre 2023)
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