La stratégie du choc culturel

Du zinc animé des comptoirs du centre-ville aux entresols ouatés des administrations, Marseille-Provence 2013, capitale européenne de la culture, est sur toutes les lèvres1. Après six ans de propagande à la nord-coréenne, c’est un euphémisme de dire que le sujet est difficile à éviter. On en parle quasiment partout – mais de quoi parle-t-on, au juste ?

Sous le clinquant packaging d’une manifestation culturelle branchée se dissimule un dispositif dont les enjeux vont au-delà du simple divertissement. Et à en juger par la teneur des causeries en ville, la dissimulation a fait long feu : personne n’ignore le lien entre MP2013 et le nettoyage social du centre-ville, amorcé depuis bientôt vingt ans à Marseille sous d’autres formes jusqu’ici plus ou moins couronnées de succès. Mais le programme de la capitale de la culture, loin de se cantonner au centre de Marseille, s’étend jusqu’aux confins du département, et à cette échelle, le lièvre à lever semble tout autre. Le 10 avril, un « avant projet de loi de décentralisation » sera à l’ordre du jour du Conseil des ministres. Le document, disponible sur Internet, évoque la création de trois « métropoles » – nouvelles entités territoriales à mi-chemin entre villes et départements – à Paris, Lyon et Marseille. Dans l’agglomération provençale, malgré la contestation d’une grande partie des élus locaux, beaucoup défendent le projet avec un enthousiasme gonflé aux stéroïdes.

C’est le cas de Jacques Pfister, président de la chambre de commerce et d’industrie Marseille-Provence (CCIMP), pour qui la démarche de l’État en faveur de la métropole est « une excellente nouvelle2 », comme il se plaît à le répéter dans la presse3. Celui qui est aussi le président de l’association Marseille-Provence 2013 ne fait là que refléter la stratégie de l’institution qu’il cornaque – car à travers l’expression d’un optimisme philantropique, c’est un véritable lobby qui manœuvre. Dans la droite ligne de la doxa néolibérale de mise en concurrence des territoires, la CCIMP défend la nécessaire « compétitivité » de la région urbaine et, silence dans les rangs s’il vous plaît, « la compétition concerne tout le monde, depuis le chef d’entreprise jusqu’au petit commerçant, le politique comme le simple citoyen.4 »

Pfister et consorts voient dans la mise en place de cette nouvelle métropole l’occasion rêvée pour le privé de s’immiscer un peu plus dans les affaires publiques. « La gouvernance est l’une des clés de la réussite d’une métropole et de son attractivité », peut-on lire sur le site de la CCIMP. « Elle implique une réelle coopération, à une large échelle, entre tous les acteurs publics, mais aussi privés. » Ce qui est en jeu serait donc de « fonder une collectivité omnipotente avec comme feuille de route : la mobilisation des moyens publics pour créer un environnement favorable aux entreprises5 ».

Quelle que soit la puissance de la chambre de commerce, cette OPA hostile est un peu grosse à avaler. Il y manque un « désastre fondateur », façon Stratégie du choc6, sur lequel s’appuyer : la capitale européenne de la culture, ce label que son directeur, Jean-François Chougnet, compare à « une marque, un concept, un buzz » qui « renforce l’attractivité d’un territoire7 » pourrait bien être cette catastrophe programmée. La nomination à l’automne de Laurent Théry, urbaniste reconnu comme un expert de l’aménagement des villes par la culture, en tant que « préfet en charge de la métropole », ne doit rien au hasard : la stratégie du choc culturel est en marche à Marseille.


1 Ou presque. L’indifférence populaire semble être la pire des menaces planant sur l’événement.

2 La Marseillaise, 11 septembre 2012.

3 Le quotidien économique Les Échos semble être son porte-voix préféré : en plus de papiers et d’entretiens répétés, l’édition du 31 octobre 2012 lui a offert une tribune de 4500 signes éloquemment intitulée « Marseille ne s’en sortira que par une réforme de sa gouvernance ».

4 Site internet de la CCIMP.

5 La Marseillaise, 11 septembre 2012.

6 Dans La stratégie du choc : la montée d’un capitalisme du désastre, la journaliste canadienne Naomi Klein soutient que les désastres et catastrophes naturelles sont utilisés par les tenants de l’ultralibéralisme pour faire passer des réformes que seuls la situation de crise et le choc psychologique liés à la catastrophe permettent.

7 La Marseillaise, 24 mai 2011.

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