Les vieux Dossiers de Matéo
Que reste-t-il de la Commune de Paris ?
Dans un essai très stimulant, La Commune n’est pas morte1, l’historien Éric Fournier explore la « plasticité mémorielle » de ce puissant catalyseur qu’a constitué l’insurrection parisienne de 1871.
Marx, avec son panégyrique La Guerre civile en France, fut le premier à donner une interprétation politique à la Commune. Il en avait amplifié les « tendances inconscientes » (Engels) en la présentant comme « la première tentative faite par la révolution prolétarienne pour briser la machine de l’État ». Anarchistes et marxistes s’accordèrent à y voir l’aurore d’une société nouvelle plutôt qu’un crépuscule des révolutions du XIXe siècle. Mais, au-delà de ce constat partagé, une opposition irrévocable s’est rapidement dessinée. Les premiers insistèrent sur l’aspect spontané de cette révolution, à la fois négation en acte du principe d’autorité, exaltation du principe fédéraliste et communaliste et mise en œuvre de la démocratie directe ; quant aux seconds, ils y virent avant tout une répétition générale de la dictature du prolétariat et imputèrent son échec à l’absence d’organisation disciplinée capable de prendre le pouvoir et de le conserver… Sous l’influence des bolchéviks parvenus aux commandes en Russie va s’opérer une véritable captation d’héritage par un PCF hégémonique, cherchant sa légitimité notamment à travers des figures de vétérans comme celle de Zéphirin Camélinat (1840-1932) ou d’Adrien Lejeune, le « dernier communard » qui meurt en 1942… en URSS.
L’ouvrage nous rappelle la tentative constante, bien que marginale, de « cannibaliser » l’esprit de la Commune par certains courants d’extrême droite – de Maurice Bardèche jusqu’aux identitaires du Projet Apache. Cette récupération s’amorce assez tôt par le glissement vers le nationalisme d’anciens communards, comme Gustave Cluseret ou Henri Rochefort ainsi que plusieurs blanquistes. On pourrait également évoquer le cas singulier de Georges Bernanos qui, se détachant progressivement de sa famille politique d’origine, condamnait, en 1930, l’« atroce répression » et exaltait la « pureté patriotique » du peuple de Paris, à la fois victime, selon lui, de la capitulation des républicains opportunistes et des versaillais face aux Prussiens, et de la subversion des agents de l’Internationale.
Du côté des continuateurs en droite ligne des versaillais, Éric Fournier nous fait découvrir l’édifiant rapport de contre-insurrection du général Voirot en 1932. Ce dernier alerte des risques d’une nouvelle Commune, prête à déferler depuis la proche banlieue cette fois, et qui « menée par un parti communiste parfaitement organisé et discipliné, […] pourrait s’appuyer sur de nombreux Parisiens à l’esprit frondeur, sur les ruraux déracinés, les repris de justice, les étrangers et les “gens de couleur”, notamment les Nord-Africains ». Face à l’imminence d’une guerre de rues des plus féroces, Voirot, visionnaire, va jusqu’à préconiser l’usage du « lance-flammes pour investir les immeubles ». Incendiaire !
Avec mai 68, la Commune de Paris est réinvestie d’une dimension festive et libertaire qui s’accompagne d’une critique sans concession du stalinisme : « Trop de massacreurs fleurissent ce mur ! », pouvait-on lire inscrit sur le mur des fédérés lors du centenaire. Puis, les usages politiques de 1871 vont décliner progressivement sans jamais s’éteindre vraiment. Entre son intégration embarrassante au roman national et l’affranchissement de l’historiographie vis-à-vis du marxisme orthodoxe – grâce notamment à Jacques Rougerie –, le spectre de la Commune agite moins les passions politiques que ne le fait encore l’évocation de la collaboration ou de la colonisation.
Alors, la Commune est-elle morte pour autant ? C’est à Lissagaray, historien-témoin et acteur du moment, qu’Éric Fournier confie le soin de conclure par une mise en garde contre toute construction de mythe : [Il n’est pas] de meilleur plaidoyer pour les vaincus que le simple et sincère récit de leur histoire […]. Celui qui fait au peuple de fausses légendes révolutionnaires, celui qui l’amuse d’histoires chantantes, est aussi criminel que le géographe qui dresserait des cartes menteuses pour les navigateurs. »
Cet article a été publié dans
CQFD n°109 (mars 2013)
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Paru dans CQFD n°109 (mars 2013)
Dans la rubrique Les vieux dossiers
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Mis en ligne le 02.05.2013
Dans CQFD n°109 (mars 2013)
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