Édito du 107
ENCULTURE [an-kul-tu-r’] n. f. – 2013 • Action d’imposer la culture par le haut. Contrairement au terme « enculturation » qui, pour les ethnologues, définit la transmission de la culture du groupe à l’enfant, l’enculture pourrait désigner une « conception verticale et interventionniste de l’animation culturelle, par lequel le centre des villes doit devenir une sorte d’usine à loisirs culturels », pour reprendre une expression de l’écrivain Alèssi Dell’Umbria.
« Le public marseillais est au rendez-vous, ils font les gabians à merveille ! », se gobergeait une journaliste de France 3 le soir du 12 janvier, où une « grande clameur » était censée inaugurer l’année capitale. Magie du montage d’un événement formaté pour la télévision : le micro enregistre les jacasseries d’un groupe de badauds et la caméra montre une vue panoramique de la ville : on croit voir tout Marseille s’enflammer. Car la liesse populaire est indispensable pour attirer les touristes, avait averti Chougnet, directeur de MP-20131. « Je pense que pour Marseille, c’est un cadeau énorme ! », gloussait Aurélie, du feuilleton Plus belle la vie. « C’est fabuleux, c’est féerique, les gens sont fascinés ! », insistait la journaliste de France 3. « Aujourd’hui, les gens sont étonnés, demain ils seront heureux ! », hallucinait un artiste lors de la pose de la dernière pierre du Mucem, lieu voué à taxidermiser les cultures méditerranéennes que les autorités s’entêtent à chasser des rues de Marseille.
« Et souhaitons que la France continue son combat contre le terrorisme », radotait l’ubuesque Gaudin pour excuser l’absence de Hollande. Dehors, la foule marchait, dûment encadrée par 1 800 flics dépêchés pour l’occasion. La mairie avait sommé l’autochtone de « déambuler » en touriste dans sa propre ville et applaudir à sa propre éviction. Bétonnage du littoral, expulsion des pauvres du centre-ville, déboulonnage des bancs publics, fermeture des lieux de convivialité populaire… Voilà ce qu’on prétend masquer et justifier avec MP-2013, « ce pince-fesses pour happy few subventionnés ». Mais « on était là avant eux, on sera là pendant et aussi après », entend-on au coin des rues. Et si, le 12 janvier, le Front des réfractaires à l’intoxication par la culture appelait les Marseillais à « la fermer », il précisait bien : exceptionnellement.
1 Voilà pourquoi les employés du Conseil régional ont répété la Grande clameur pendant leurs heures de travail, à la Nord-coréenne.
Cet article a été publié dans
CQFD n°107 (janvier 2013)
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Paru dans CQFD n°107 (janvier 2013)
Dans la rubrique Édito
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Mis en ligne le 15.01.2013
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Dans CQFD n°107 (janvier 2013)
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21 janvier 2013, 10:51, par drÖne
Marseille Capitale de l’enculture en 2013, et c’était déjà les mêmes symptômes lors de la préparation (ratée, heureusement) d’une autre opération d’enfumage : celle de Lyon 2013. J’en avais tiré un fake qui pourra intéresser et amuser les lecteurs de CQFD. C’est ici :
Le fake (Lyon, capitale européenne de l’ennui) : http://drone-zone.org/tag/lyon/
Le blog du fake (on ne se refuse rien !) : http://drone-zone.org/lyon2013/blog/
Un mini dossier sur les politiques (in)culturelles lyonnaises : http://drone-zone.org/des-nuits-sil...
Et pour les amateurs de dystopies ironiques : http://drone-zone.org