Punk

Heyoka ne se rend pas

CQFD : En préalable, peux-tu revenir, pour les lecteurs de CQFD, sur l’histoire d’Heyoka ? Origine du nom, du groupe, style, split puis reformation, discographie…

Jack : Heyoka est un personnage amérindien, un homme-médecine, un clown avec beaucoup de puissance. Il symbolise le « contraire », il fait tout à l’envers. Le groupe a eu deux vies : d’abord de 1991 à 1997 avec quelques centaines de concerts en France et en Europe, l’autoproduction d’une cassette démo, Vu à la télé, suivie d’un 45 tours éponyme, Heyoka, et enfin un album, Demain sera… Après quinze années d’abstinence, la sortie de l’intégrale Piqûres de rappel nous a ramenés sur les planches et a entraîné un nouvel album, État des lieux. Nous jouons du punk-rock. Nos textes et notre démarche coïncident avec la mouvance anarcho-punk.

Justement, pourquoi avoir choisi, près de quinze ans après, de rechausser les grôles d’un punk d’émancipation ?Et d’ailleurs, peux-tu nous expliquer le morceau « Yes Futur », enregistré pour l’album État des lieux ?

On a fêté la sortie de l’intégrale sur scène ! Ensuite, le plaisir de nous retrouver, l’accueil du public et les propositions de concerts nous ont remis en piste. Il y avait un goût d’inachevé à la suite de notre séparation. Il fallait du neuf et donc un nouvel album. Punk d’émancipation est une jolie formule : nos vies ont été irrémédiablement bouleversées par cette contre-culture musicale, sociale et politique. « Yes Futur » est une sorte d’hommage à cette rencontre avec un milieu qui nous a permis de percevoir le monde et d’y vivre différemment.

« Le temps qui passe n’est pas notre ennemi, car le système fabrique des hordes de futurs insoumis et même des citoyens modèles, gavés d’idéologie se rendent bien compte que le seuil du supportable est franchi. » « Dans l’ombre » résonne comme un manifeste. À quoi pensiez-vous en composant ce morceau ?

Ce morceau sonne effectivement comme un manifeste et est en quelque sorte une espèce de pont entre les révoltes d’hier et celles d’aujourd’hui, de ceux et de celles qui les portent, qui éclosent et éclatent comme des bulles sur le fil de l’actualité et de la réalité. Il y a toujours une impatience légitime à vouloir faire exploser brutalement cette cage de verre qu’est la société capitaliste, qui nous subordonne à la marchandise, au travail, à la valeur, à l’argent. Elle peut être à certains égards autodestructrice pour qui perd patience. Cependant, il ne faut jamais oublier les leçons de la dialectique et savoir reconnaître que le pire ennemi du système capitaliste, c’est le capitalisme lui-même. Ce n’est évidemment pas un gage de sa dissolution paisible en vue d’une émancipation humaine dans « des lendemains qui chantent ». Ce système où prédomine la production de marchandises comme fin en soi peut s’accommoder de bien des dispositifs politiques et étatiques effrayants. Mais les révoltes grondent aux quatre coins de la planète. « Dans l’ombre » est un hymne aux insurgés. Il n’y a pas d’autre système livré clé en main, il faut « faire son chemin en marchant » comme on dit au Chiapas.

Dans État des lieux, il y a un titre en allemand, « Heuchler ». De quoi parle-t-il ? Quel lien vous rattache à cette langue ?

Ce morceau a été écrit par Syster, notre chanteuse, dont la langue maternelle est l’allemand. C’est une réflexion sur notre « milieu » qui n’est pas exempt de tout reproche, évidemment. Il est impossible de s’extirper totalement du monde qui nous

entoure et l’empreinte du système resurgit parfois dans nos comportements. Nous y côtoyons les mêmes contradictions qu’ailleurs. Les masques que cette société nous impose déforment les traits des personnes qui les portent. La lutte contre le capitalisme est aussi un combat permanent contre la forme de socialisation qu’il nous suggère et/ou impose dans les tréfonds de notre cerveau.

L’album a été produit par cinq labels. Où en est la scène punk combative aujourd’hui en termes de structures (lieux, fanzines, labels) ?

L’industrie culturelle est une vaste machine à faire du fric au service de l’idéologie dominante. Fidèles à la philosophie « Do It Yourself », nous gérons nos productions de manière totalement autonome. Les cinq labels, Maloka, LaDistroy, ZoneOnze, General Strike et Deviance fonctionnent sur des bases simples : pas de salariat, pas de contrat, prix de vente minimal, notre album à 8 euros par exemple, distribution indépendante, totale liberté de création et de production. Pour ce qui est de la scène punk combative aujourd’hui, il faut être réaliste, la situation est loin d’être simple. Nos musiques sont un vecteur très important de diffusion d’idées. Mais le peu de salles autogérées et de structures culturelles et sociales autonomes nous confine à très peu de visibilité. Nous avons un retard conséquent en termes d’organisation sur des pays comme l’Allemagne, par exemple.

On connaît votre attachement au mouvement zapatiste contemporain qui fêtera l’an prochain les vingt ans de l’insurrection de janvier 1994. Quelles luttes vous inspirent aujourd’hui ?

Effectivement, le soulèvement au Chiapas n’était pas un feu de paille ! Il s’inscrit dans une autre durée, bien moins médiatique, celle des tentatives de changer en profondeur les structures sociales et économiques. Il n’y a pas de luttes efficaces sans théorie sous-jacente. Par là, l’émergence sur le plan international de la « critique de la valeur » est à notre sens l’outil le plus efficace pour contrer le capitalisme sur ses bases. Kurz, Jappe, Postone, Holloway sont quelques auteurs des plus recommandables. Sinon, en vrac, le mouvement argentin des « Piqueteros », la communauté des logiciels libres, Linux, Anonymous, les luttes de Notre-Dame-des-Landes, du No-TAV, et toutes ces brèches qui créent des espaces d’autonomie où l’individu redevient responsable de sa vie et n’est plus seulement un client.

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