La société sans État, elle existe à Zomia !
Connaissez-vous la « Zomia » ? Jusqu’à peu, moi non plus. D’autant moins que ça n’apparaît sur aucune carte. La « Zomia », chouagamment décrite par le prof d’anthropologie de Yale James C. Scott dans Zomia ou l’art de ne pas être gouverné (Seuil), qui est aussi bien que son titre, serait, d’après notre puits d’érudition, « la dernière région du monde dont les peuples refusent obstinément leur intégration à l’État-nation ».
Assez récent, le terme Zomia désigne l’ensemble des territoires se nichant à des altitudes supérieures à environ 300 mètres, des hautes vallées du Vietnam aux collines élevées du Nord-Est de l’Inde, en passant par le massif continental du Sud-Est asiatique (le Vietnam, le Cambodge, le Laos, la Thaïlande, la Birmanie) et par quatre provinces chinoises. « Il s’agit d’une étendue de deux millions et demi de kilomètres carrés abritant près de cent millions de personnes appartenant à des minorités d’une variété ethnique et linguistique tout à fait sidérante. » Et les habitants de cet immense territoire montagneux à la périphérie de neuf États, au centre d’aucun et à cheval sur les découpages régionaux courants (Asie du Sud-Est, Asie de l’Est, Asie du Sud), réussissent depuis deux millénaires à échapper aux contrôles des gouvernements des plaines.
Traités de « barbares » par les États entendant les soumettre, les peuples nomades évoluant dans cette vaste zone d’insoumission ont en effet mis en place des stratégies de résistance parfois étonnantes pour échapper au travail forcé, aux impôts et aux corvées, à la conscription, aux guerres, aux épidémies, aux hiérarchisations diverses et aussi à l’enfermement dans des identités imposées (« leur identité, précise James C. Scott, c’est l’autonomie »). Leurs pieds de nez non-stop aux contraintes de la société d’en bas et aux pseudo-discours de civilisation « n’imaginant jamais la possibilité que des gens choisissent volontairement de rejoindre les barbares » sont favorisés bougrement par leur dispersion physique dans de gigantesques espaces accidentés pas encore fliqués, leur mobilité infinie, leurs modes de survie (le pastoralisme, le glanage, l’agriculture itinérante) et leur sens développé de l’auto-organisation spontanée qui sonneraient le glas du vieux monde autoritaire-marchand s’ils se propageaient. Propageons donc. Dong, dong, dong, dong, dong !
À signaler, en complément, le sympatoche Un air de liberté (éd. Chant d’orties) frigoussé par une pétroleuse de quatorze balais, Hellena Cavendi. Ça se déroule après le grand soir noir et rouge qui, grandiose nouvelle, a réussi : on expérimente enfin partout la jouissance sans freins. Mais les cafards allergiques aux cités idéales ne désarment pas. Puisque le signal de la révolution a été la chanson « Liberty », ils cherchent à remonter dans le temps pour flinguer John Lennon.
Cet article a été publié dans
CQFD n°114 (septembre 2013)
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Paru dans CQFD n°114 (septembre 2013)
Dans la rubrique Cap sur l’utopie !
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Mis en ligne le 11.11.2013
Dans CQFD n°114 (septembre 2013)
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