La légionelle saute sur le CRA

Si une présence de légionelle est suspectée dans un hôtel, tous les occupants sont évacués dans la minute. Imaginez la réputation si un client venait à tomber malade… Au Centre de rétention administrative de Marseille, quand il s’avère que des légionelles clapotent dans l’eau sanitaire, tous les retenus restent derrière les barreaux. Imaginez la réputation si l’on venait à libérer un sans-papier !
par Bertoyas

« Le 3 décembre, le juge a dit qu’il allait réagir comme si un membre de ma famille se trouvait dans le centre », rapporte Anaïs Léonhardt, l’un des avocats des personnes retenues au centre de rétention administrative (CRA) du Canet, à Marseille. Résultat : le magistrat a laissé les sans-papiers barboter dans la légionelle pendant deux semaines.

Retour sur les récents aléas sanitaires de cette taule à étrangers. Le 2 décembre, suite à des analyses de son réseau de flotte, l’on apprend qu’une partie du CRA du Canet est contaminée par la légionelle, bactérie responsable de la légionellose, une maladie infectieuse pas des plus sympathiques. Les résultats sont sans équivoque : ça grouille comme dans le pucier d’une geôle du château d’If. Dans l’eau des robinets de la zone de vie réservée aux femmes, on atteint 50 000 unités formant colonie (UFC) par litre d’eau, pour une norme maximale de 1 000. Il faut agir vite : surtout, que personne ne sorte ! Le 3 décembre, le réseau est sommairement traité au chlore. Deux familles sont transférées, mais la majorité des retenus est envoyée dans une aile du bâtiment prétendument saine. « Les tests de légionelle dans le CRA ne sont pas une obligation. Si nous l’avons fait, c’est en application du principe de précaution », s’enorgueillit Bernard Reymond-Guyamier, directeur de la police aux frontières (PAF) de la région Paca, auprès de CQFD1. Un principe qui s’arrêtera là. Le 7, un médecin sollicité par le juge de la liberté et de la détention (JLD) assure, selon Me Vanina Vincensini, autre avocate des sans-paps, que « le seul moyen de supprimer les risques est de placer des filtres sur les pommeaux de douche » et que « l’on n’est pas sûr du résultat de l’opération de désinfection ». Bien sûr, de filtre, il n’en est point question, mais de nouvelles remises en liberté sont refusées par le JLD.

Quelques jours plus tard tombent les résultats du prélèvement de contrôle effectué après la désinfection. Arf. L’aile contaminée l’est toujours autant et la bactérie s’est propagée de manière significative dans l’aile « saine », passant de 250 à 25 000 UFC. « Depuis le 3 décembre, nous soutenons que l’opération de désinfection n’est pas sûre ! s’énerve Me Léonhardt. Nous envisageons de déposer une plainte au pénal pour “mise en danger de la vie d’autrui”. La légionellose est une maladie dangereuse, 15 % des personnes contaminées en meurent. »

Mais le pire reste à venir. Le 16 décembre, le JLD décide – enfin ! – de faire libérer les quarante-quatre étrangers retenus, puisque le CRA est dans l’incapacité de fournir « une eau potable et sanitaire de qualité ». Et là, paf ! Lors de l’audience, la police aux frontières se radine sur ordre de la préfecture des Bouches-du-Rhône et embarque sept sans-papiers qui attendaient de passer devant le juge. Direction ? Le centre de rétention de Nîmes ! Chaque étranger compte, quand on veut atteindre les 28 000 expulsions exigées par le ministère pour l’année 2010. Seuls trente-sept d’entre eux retrouveront la liberté avec, en prime, un petit conseil santé du magistrat : « Pendant vingt jours, vous avez intérêt à surveiller votre température. »

« Il aurait été préférable qu’ils aillent tous au CRA de Nîmes, où ils auraient pu avoir un suivi médical, explique à CQFD le directeur de la police aux frontières. Ils ont été libérés, tant mieux pour eux. Mais j’espère qu’ils ne sont pas atteints. » Notons qu’entre le 3 et le 15 décembre, les étrangers retenus n’ont pas été informés de la situation. « Une note a été affichée à leur intention, mais à partir du 15, précise Me Vincensini. Et uniquement en français. »

Finalement, les sept personnes transférées seront libérées à Nîmes. L’une d’entre elles, revenue à Marseille, a repris contact avec son avocate. « Pour le moment, il attend les résultats de ses analyses médicales, pour savoir s’il a ou pas la légionellose, explique Me Vincensini. Au passage, il est bon de noter qu’il ne fait l’objet que d’une simple obligation de quitter le territoire. » Lors du transfert dans le Gard des sept malchanceux, l’Administration avait fait savoir qu’ils étaient sous le coup d’une interdiction du territoire prononcée à la suite d’une condamnation pénale. En clair : ce sont des voyous, on les rafle dans la salle d’attente du tribunal pour les garder au frais ! Pour le moment, au frais, il n’y a plus personne : début janvier, le CRA est toujours fermé, toujours contaminé. Pourvu que ça dure.


1 Contacté, il est vrai, sous couvert d’une autre rédaction.

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Paru dans CQFD n°85 (janvier 2011)
Dans la rubrique Histoires de saute-frontières

Par François Maliet
Illustré par Bertoyas

Mis en ligne le 07.02.2011