Le serment de Toto
En 2009, l’acteur Albert Dupontel avait envoyé paître en direct le journaliste de France 3 qui l’interviewait sans avoir vu son film. Alors, à CQFD, nous étions prêts à grever nos maigres émoluments pour voir Le Serment de Tobrouk, film retraçant les péripéties libyennes, de février à octobre 2011, du philosophe militaire par qui l’intervention de l’Otan est arrivée. Le bombardement promotionnel a été si intensif que l’on mourrait d’envie de guerroyer une heure quarante-six durant en compagnie de ce Davy Crockett germanopratin et sa toque en peau de raton laveur1. Toute la presse en a parlé : Le Monde du 26 mai et du 6 juin (BHL étant membre du conseil de surveillance du quotidien, il aurait été maladroit de ne pas), Libé du 25 mai (le quotidien étant partenaire du film, il aurait été maladroit de ne pas), Le Figaro du 25 mai, Les Inrocks du 7 juin, Le Point du 7 juin (BHL tenant son bloc-notes dans cet hebdo, il aurait été maladroit de ne pas)… Le 25 mai, dans Le Nouvel Obs, Laurent Joffrin a même osé évoquer – Laurent Joffrin ose tout – « un film d’action efficace, un thriller philosophique et stratégique ». À cette omniprésence dans la presse écrite, il faut ajouter de longs tunnels publicitaires sur TF1, France 2, France 3, i-télé, Europe 1, Canal Plus, BFM-TV, Arte (BHL étant président du Conseil de surveillance de la chaîne, il aurait été maladroit de ne pas)… N’en jetez plus, nous y allons. Sauf que… Ha. Non. Impossible. Le Serment de Tobrouk n’est pas distribué à Marseille2 , comme dans d’autres grandes villes françaises.
Dommage. Nous ne saurons si ce monument de narcissisme omet d’évoquer, par exemple, la relation de franche camaraderie qui lie le président du Conseil national de transition (CNT) libyen, Moustapha Abdeljalil – ancien ministre de la Justice de Kadhafi –, et Omar El-Béchir, le assez peu avenant président du Soudan voisin. « Le peuple soudanais a apporté un soutien, humanitaire mais aussi en armes, qui est parvenu à tous les révolutionnaires libyens à Misrata, dans les montagnes de l’Ouest, à Zawiyah et dans toutes les régions de la Libye », aurait déclaré El-Béchir. Afin de le remercier pour cet élan de solidarité démocratique, Moustapha Abdeljalil a reçu le président soudanais à Tripoli en janvier dernier, lui promettant d’investir dans l’agriculture et l’immobilier de son pays. Simple relation de bon voisinage ? À ceci près que, entre 2003 et 2008, le conflit au Darfour a fait 300 000 morts dans l’est du Soudan selon l’ONU. Et que Omar El-Béchir est recherché par la Cour pénale internationale (CPI) pour crime de guerre, crime contre l’humanité et, excusez du peu, génocide. Moi-je le philosophe, qui par le passé a beaucoup glosé sur le Darfour, n’a a priori rien à redire quand le criminel de guerre présumé Omar papote affaires avec son pote Moustapha.
Au journaliste du Figaro qui l’interrogeait sur l’aspect peu démocratique d’une guerre décidée à deux, avec Nicolas Sarkozy, BHL a eu cette – hallucinante – réponse : « Il y a des situations d’urgence. Il y a des moments où, comme disait Walter Benjamin, il faut appuyer, très fort, et très vite, sur les freins d’une histoire devenue folle. Et là, c’est malheureux à dire, mais on n’a plus le temps de la bonne et belle délibération démocratique3. »
Si notre flamboyant philosophe est aussi soucieux de la justice internationale qu’il l’est de « la bonne et belle délibération démocratique » – qu’il s’évertue pourtant à exporter à grands coups de Rafale –, Omar El-Béchir peut sans problème venir boire un caoua au Café du Flore. BHL apportera les croissants.
1 Vous dites ? Ce sont ses vrais cheveux ? Ho, pardon.
2 La rédaction de CQFD, mensuel (inter)national, est basée à Marseille.
3 « Bernard-Henri Lévy : “En Libye, Sarkozy s’est conduit avec grandeur” », Le Figaro, 24 mai 2012.
Cet article a été publié dans
CQFD n°101 (juin 2012)
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Paru dans CQFD n°101 (juin 2012)
Dans la rubrique Médias
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Mis en ligne le 27.08.2012
Dans CQFD n°101 (juin 2012)
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