La rage contre la machine
La cyberguerre est déclarée
Première conférence plénière, vous tombez nez à nez sur 3 000 geeks bien rasés sur les côtés et exhibant leurs épaulettes. De quoi vous procurer une petite montée de parano : « Merde, pourquoi il me regarde, ce gars… c’est sûr, il m’écoute depuis des jours et me prend pour un ennemi intérieur ! » Ou encore : « Pourquoi il s’assoit derrière moi çui-là, y a pourtant de la place partout. C’est mort, je vais me faire victimiser dans une cave de la DCRI ! »
Vous connaissiez le salon du Bourget (avions et hélicos), Eurosatory (flingues et chars d’assaut) ou Milipol (encore des flingues), voici le Forum international de la cybersécurité (Fic), le salon des professionnels de l’espionnage informatique. Vu de l’extérieur, on pourrait croire qu’il sert à lutter contre la pédophilie et le cyber-harcèlement à l’école – Manuel Valls a d’ailleurs délivré en personne à des ch’tis enfants de CM2 leur « Permis d’Internet » contre quelques rudiments de self-defense sur la Toile. Mais à peine passez-vous les portiques du Salon que vous comprenez : tout ça, les cyberflics s’en cognent, si ce n’est pour apeurer encore plus les spectateurs d’émissions genre « Enquête d’action » et justifier tout le reste : la surveillance de masse, l’espionnage industriel et la protection du « potentiel scientifique et technique de la nation ».
Cette année, les révélations d’Edward Snowden sur les capacités américaines d’espionnage agitent les industriels hexagonaux : « La cybersécurité est-elle un échec ? », s’effraie la première table ronde. Le directeur technique de Sogeti, Bernard Barbier, récent transfuge de la DGSE, les services extérieurs, envoie la balle à un général d’armée qui la dévie vers le président du Medef avant qu’un défenseur des libertés sur Internet l’attrape au vol. Ça chipote sur la place du citoyen, mais tout le monde est d’accord : il faut se pro-té-ger, « faire coopérer des gens avec des intérêts divergents autour d’un objet commun », s’illusionne Jérémie Zimmermann de la Quadrature du Net. Bref, il faut sauver le soldat Internet.
Watin-Augouard, général de gendarmerie et fondateur du Forum : « Le Fic est né avec cinquante entreprises. C’est un élément essentiel de la compétitivité économique pour notre territoire. » « Tout à fait, répond Zimmermann, mais la solution viendra des logiciels libres. Nous avons laissé les clés de nos maisons, et nous nous sommes fait exproprier par des acteurs tels que Google, Microsoft, Facebook… » Le jour où le ministère de la Défense gérera son stock de têtes nucléaires avec Linux, nous rapprocherons-nous de la « cyberpaix » ?
Cybermenaces
Edward Snowden est un caillou dans les rangers d’Obama. Par trois fois, des agents de la CIA l’ont eu dans le viseur, prêts à le dérouiller : « Pour moi Snowden et Assange méritent une balle entre les deux yeux, ce sont des traîtres », s’ébroue un agent des renseignement américain un peu remonté1. Mais à chaque fois, le président américain s’est rétracté. Une ta-tache de sang sur la man-manche de la première armée du monde – pardon, de la première démocratie du monde – n’eut pas été du goût de la communauté internationale, elle qui est déjà la proie des « grandes oreilles » américaines.
Les documents publiés par Snowden ont révélé que la NSA écoutait les conversations internes d’Alcatel-Lucent, groupe stratégique de la défense française, de l’entreprise brésilienne Petrobras, de Siemens ou encore du Quai d’Orsay : « Les objectifs de la politique étrangère de Paris, en particulier le commerce des armes et la stabilité économique, intéressent la NSA2. » La cyberguerre est donc économique. La concurrence vous rafle des documents confidentiels, et vous perdez marchés publics ou secrets industriels qui vous ont coûté bonbon en recherche et développement. Et on ne vous cause même pas de la prolifération des armes.
Après la guerre du Renseignement, l’autre enjeu est celui de la sécurité des « intérêts vitaux de la nation ». Notre société s’informatisant – capteurs, chaînes logistiques téléguidées, logiciels de gestion –, elle devient automatiquement vulnérable aux attaques informatiques. Patrick Pailloux, directeur de l’Agence nationale de sécurité des systèmes d’information : « La menace concrète, le risque majeur qui vise les nations, c’est les actes de sabotage contre les centres de contrôle-commande de nos infrastructures critiques : aiguillages, barrages, hôpitaux, etc. » Frisson dans la salle. Un accident nucléaire est si vite arrivé… En 2009, les USA balançaient leurs virus Flame et Stuxnet contre les installations iraniennes, détraquant mille centrifugeuses à uranium. Révélation : la barbouzerie 2.0 est le fait de militaires bedonnants et avalant des chips un joystick à la main.
Cyberflics
Dans les allées du Salon, VRP de l’industrie numérique, militaires et jeunes hackers – mais des « hackers éthiques », selon la formule consacrée par leur école d’ingénieur à Maubeuge – tapent la discut’. Le gratin du « complexe militaro-informatique » est là : Orange ou la Gendarmerie, EADS ou IBM. Même Bull a son stand, la boîte qui a vendu des logiciels espions à Kadhafi et se retrouve en procès pour complicité d’actes de torture.
Le cyberespace est devenu le « cinquième champ de bataille » après la terre, la mer, l’air et l’espace. La course à l’armement cybernétique est lancée et toutes les armées du monde ont désormais leur bataillon attitré. En France, le budget de la Délégation générale à l’armement réservé aux armes cybernétiques a été multiplié par trois en quelques années. Des écoles spécialisées ont été ouvertes par la Défense et ses industriels. L’état-major des armées a sous la main un réseau de 90 réservistes civils spécialisés en cyberdéfense. La loi de programmation militaire prévoit une « loi martiale numérique » donnant au gouvernement la possibilité de couper les réseaux ou détourner les données « pour répondre aux crises majeures menaçant ou affectant la sécurité des systèmes d’information ». La France se prépare à la guerre.
Sur les stands, pas de gros calibres en exposition ni de combattants surarmés, encore moins de vidéos de militaires en opération, mais plutôt des écrans affichant des lignes de code. Cette virtualité de la défense française nous ferait presque oublier qu’elle protège des sites miniers, des supertankers croisant au large de la Somalie, des plates-formes pétrolières ; bref, des nuisances trop réelles.
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Et puis encore par ici !
Sans oublier par là !
Et, enfin, c’est aussi par ici !
Cet article a été publié dans
CQFD n°119 (février 2014)
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Paru dans CQFD n°119 (février 2014)
Dans la rubrique Le dossier
Par
Illustré par Felder
Mis en ligne le 15.04.2014
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Dans CQFD n°119 (février 2014)
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15 avril 2014, 09:47
Mais sincèrement, à part enfoncer des portes ouvertes et cracher son venin (les militaires bedonnants mangeants des chips un joystick à la main ?!?), vous pensez qu’il sert à quelque chose cet article ? La guerre c’est mal, la cyberguerre c’est pire ! Putain il faut le dire, vite !!