Croix de bois, croix de fer, la promesse avait été solennellement proclamée après le massacre du Rana Plaza en avril 2013 : dorénavant, les droits syndicaux des quatre millions d’ouvrières du textile bangladais seraient scrupuleusement respectés. Sur l’air de « plus jamais ça », le patronat local, les géants occidentaux du prêt-à-porter et le régime notoirement corrompu de la Première ministre Sheikha Hassina juraient que les quelque mille cent travailleuses écrabouillées dans l’effondrement de leur usine n’étaient pas mortes en vain. Pas moyen d’ignorer les nombreux témoignages qui établissaient que la présence d’un syndicat au Rana Plaza aurait peut-être amélioré les chances des trimardeuses de faire valoir le droit de retrait qu’elles avaient réclamé quelques jours avant l’accident, effrayées par les fissures de plus en plus béantes qui lézardaient leur cage à coudre. Le délabrement de l’usine, la sourde oreille de ses propriétaires et la cupidité de leurs clients étrangers – Carrefour, Camaïeu, C&A, Bonmarché, Wal-Mart, Primark… –, qui s’accommodaient gaiement des risques mortels encourus par leur main-d’œuvre bangladaise, ne sont pas seuls en cause : la privation des droits syndicaux tue elle aussi très efficacement.
En juillet 2013, le Bangladesh ratifiait en grande pompe les conventions 87 et 98 de l’Organisation internationale du travail (OIT) relatives aux libertés syndicales. De son côté, le tout-puissant lobby des employeurs du textile (BGMEA) assurait que les entraves aux droits du travailleur appartenaient au passé. Allez savoir pourquoi, cette annonce historique n’a pas soulevé une explosion de joie. Le consommateur du Premier monde pouvait bien se poudrer d’un zeste de bonne conscience en se fringuant « made in Bangladesh », les couturières à 30 euros par mois ne cachaient pas leur scepticisme.
Un mois plus tard, la grande avancée sociale tournait déjà à l’entourloupe. « Le processus bureaucratique pour l’agrément d’un syndicat est long et semé d’embûches, ce qui laisse le temps aux employeurs de harceler le personnel tenté d’y adhérer », constatait Kalpana Akter, une responsable du Centre pour la solidarité des travailleurs. La loi est bien faite : pour déclarer un syndicat, ses fondateurs doivent se prévaloir du soutien de 30 % du personnel de l’entreprise. Comment réunir autant de camarades quand l’angoisse de perdre son gagne-pain reste intacte ? Les plus courageux le paient cash : « Des douzaines de travailleurs viennent de perdre leur emploi dans plusieurs usines parce qu’ils tentaient de monter un syndicat », expliquait fin août un dirigeant du syndicat BNGWEL dans le Dhaka Tribune.
Rien n’a changé dans les oubliettes du prêt-à-porter. Début févier, l’ONG Human Rights Watch, après enquête dans vingt et une usines, publiait un rapport détaillant le coût des libertés syndicales dans le textile au Bangladesh : menaces, insultes, licenciements sans solde, ouvrières agressées sexuellement ou battues par des malfrats à la solde des patrons. Le Front national, qui a choisi le Bangladesh pour la confection de ses T-shirts « Les gars de la Marine », peut donc se rassurer : le droit syndical, c’était juste pour la frime.
Illustré par Charmag.