Docu : Paris, ville du capital

Dans l’arrière-salle d’un ciné non commercial, avec le réalisateur de Paris grand capital, François Lathuillière. On commence par l’embourgeoisement de la petite couronne parisienne. On termine en dépassant la « quartiérisation » de la critique.

Ton film est une balade dans la petite couronne parisienne, pas à Paris même.

Depuis que je milite dans des mouvements de « mal-logés », j’ai vu la rénovation urbaine s’accélérer dans l’ancienne « banlieue rouge » : Ivry, Pantin, Bobigny, Saint Denis, Bagnolet. Les communes ne sont pas au même stade, mais les logiques se ressemblent.

Au moins les délogés sont-ils virés par des mairies de gauche…

Comme les autres, les mairies socialistes et communistes utilisent un discours de gestionnaires : face à la crise économique, il leur faut des entreprises qui payent des impôts sur les espaces laissés vacants par la désindustrialisation, puis rejettent la responsabilité sur l’État. Je parle de programmes comme l’ANRU, le PNRQAD1 ou des procédures de défiscalisation. Mais le film ne les analyse pas théoriquement, il montre comment les gens y résistent. Comme à Ivry avec le collectif « Ivry sans toit », ou avec les logements squattés, les camps de Roms. Le film donne la parole à ceux qui sont mis à la rue, les sans-titres ; et à ceux qui sont volés, les « petits » propriétaires rachetés en-dessous du prix des Domaines.

Une scène éloquente se déroule à bord d’un bus où le maire de Pantin accueille les nouveaux habitants.

Oui, le maire parle de la ville comme si elle lui appartenait, avec des petits relents racistes – « C’est pas qu’on veut pas des kebabs, mais bon… » –, sachant que dans ces villes, les clivages sociaux recoupent en partie les clivages « raciaux ». Son discours décomplexé explique comment il déplace des populations pour en installer d’autres et accueillir la première agence de publicité française.

On voit dans le film que les data centers remplacent les usines. Le renouvellement urbain n’est-il pas, plus largement, un renouvellement économique dont la ville est le réceptacle ?

Le film revient sur le passé de la « banlieue rouge », sans le mythifier, et montre comment le capitalisme transforme l’espace selon ses besoins. Une fois les usines déplacées, les pôles urbains sont en concurrence pour attirer la « matière grise ». La ville se modèle selon les impératifs technologiques et industriels, depuis les corons installés à côté des usines jusqu’aux principes monofonctionnels de Le Corbusier (un espace pour travailler, un autre pour dormir, un dernier pour consommer) qui tendent à l’hyper-spécialisation des espaces.

Dans une interview publiée par Vice, Anne Steiner s’agace de la critique de la « gentrification » en trois points. 1° Cette critique laisse tranquille les quartiers bourgeois. 2° Elle ne voit pas que les « gentrifieurs » sont eux-mêmes expulsés du centre de Paris. 3° Elle redoute une ethnicisation de la critique au détriment d’une lecture de classe. Qu’en dis-tu ?

Ne pas voir comment la grande bourgeoisie s’enferme dans des ghettos pour riches est un piège à éviter. Au sujet de la « classe moyenne », le problème est qu’elle intervient peu lors des expulsions, escomptant une valorisation de ses biens immobiliers. Quant au racisme, il segmente les classes populaires et entretient l’existence d’une sous-classe, celle des sans-papiers. On retrouve cette division au travail et dans la rue. Il suffit d’aller de Chatou (Yvelines) à Sevran-Beaudotte (Seine-Saint-Denis) pour l’observer. Malgré tout, l’histoire des quartiers populaires est celle du mélange, les gens se côtoient, travaillent ensemble, se marient… Alors que l’ouverture des classes moyennes envers la « diversité » n’est souvent qu’intellectuelle et abstraite, ouvrant la porte aux fantasmes.


1 Respectivement : Agence nationale pour la rénovation urbaine et Programme national de requalification des quartiers anciens dégradés.

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