L’Appel de la forêt
En grimpant sur les coteaux, on débouche sur les terrasses des lilas. C’est ici qu’était installé il y a encore peu de temps le camp « composé de tipis, d’une yourte, d’installations communes telles qu’un four aménagé dans un bidon métallique recouvert de terre et surmonté d’une couche de plastique noir et épais, d’un dôme à usage de solarium, de lieux de stockage.1. » On fait quelques pas dans les allées du potager. Même s’ils ne vivent plus sur place, les anciens occupants viennent toujours entretenir leurs fruits et légumes. Quelques fleurs de bourrache nous sont proposées en guise d’amuse-gueule. « Pour la photo, vous voulez voir l’arbre ? » Plus haut, on trouve l’arbre, couché sur le flanc et marqué d’une croix rouge. Les agents de l’Office national des forêts (ONF) l’ont laissé en l’état depuis le 5 mars dernier. « Ce jour-là, ils ont effectué les premiers abattages, ça a touché beaucoup de monde. Ils ont fait des croix sur les arbres. “Si on voit l’ombre d’un seul tipi, on revient et on coupe tous les arbres marqués”, nous ont-ils ensuite menacés. »
On redescend plus bas dans la grande maison où quelques-uns des expulsés de la forêt ont élu domicile. Nous sommes dans la haute vallée de l’Aude, à quelques kilomètres du village de Rennes-les-Bains. Autour d’une table, ils vont prendre la parole, une à une, un à un. Pas de nom, pas de pseudo. La langue des nomades semble comme leurs pieds : sans attache. « Notre installation dans les bois date de novembre 2010. Ici c’est une région très chargée au niveau des symboles de la résistance : du catharisme à l’Aude rouge du début du siècle.2 » Le groupe se veut une communauté active, sans alcool ni produit. « On a remis en état des vieilles terrasses multicentenaires réinvesties par la forêt à la pelle et à la pioche. On a reconstruit des murs, installé des passerelles sur la rivière. Après la tempête de 2009, alors que l’ONF s’était contenté de couper des arbres sur le bord de la route, on a fait un vrai travail de défrichage de la forêt. » L’autonomie alimentaire se met en place entre le potager, les récups et les plans avec certains paysans. Le campement se veut aussi un lieu d’accueil « du randonneur débarqué là par hasard au zonard qu’on hébergeait trois jours afin qu’il se retape ».
Et puis la suite. Une délégation qui débarque un jour. Des officiels. L’ONF, le maire et d’autres mandatés. Ils constatent, inspectent et ordonnent : vous n’avez pas le droit d’être ici. « Depuis la Révolution française, ces terres sont vacantes. Elles ont été déclarées propriété du ministère de l’Agriculture et placées sous la gestion de l’ONF. Nous avions choisi de nous installer sur le domaine public estimant que si nous sommes une partie de l’état, nous avons alors le droit de vivre sur ses terres. » Implacable logique qui déplaît cependant fortement à une partie de la population des villages environnants opposée à la « cabanisation » de leur région. « Stop à la marginalisation de Rennes-les-Bains », tel fut l’intitulé d’une pétition remise sur le bureau du maire en juin 2012. Le texte alarmé révélait « un problème de cohabitation entre les riverains de souche et des personnes, jeunes en majorité, dépendant pour la plupart de l’aide sociale » ayant construit « en toute illégalité diverses habitations tout en adoptant un comportement agressif vis-à-vis des autochtones ». Face à la menace, un lobby se monta en faveur de l’installation de caméras de vidéosurveillance dans le village. La crise au sein du conseil municipal s’exacerba jusqu’à la démission du maire. Puis la situation s’est encore envenimée. « Au bout de trois ans, les pressions pour nous faire dégager ont été plus fortes parce que la loi dit que n’importe quelle construction ayant plus de trois ans est cadastrable. » L’ONF a engagé une procédure de référé judiciaire. Au niveau des pièces à charge, on trouve un courrier de doléances émanant d’une association de chasseurs qui s’alarme d’une « colonisation anarchique » de la forêt faisant fuir le gibier. Les mœurs de ces empêcheurs de chasser en paix sont ainsi recensées : « Ils jouent de la musique, coupent du bois, pratiquent une certaine spiritualité, organisent des réunions.3 »
Le juge a tranché et déclaré les occupants sans droit ni titre. Une décision qui s’inscrit dans un large mouvement de « nettoyage » du département puisque le même tribunal ordonnera dans la foulée la destruction de l’éco-hameau de yourtes du village de Cubières, édifié pourtant avec l’aval des autorités locales. « Le 28 février, ils sont venus nous dégager. Il neigeait ce jour-là. La trêve hivernale ne marche pas pour les campements. » Il n’y a pas eu de résistance parce qu’ils savaient que les représailles retomberaient sur cette forêt avec laquelle ils avaient établi un lien quasi symbiotique. « On leur a demandé : “Pourquoi vous voulez couper les arbres ?” Et ils nous ont sèchement rétorqué : “C’est pour vous empêcher de revenir.” »
Le 26 juin dernier, les habitants délogés se grimaient en clowns et partaient occuper l’ONF du village de Quillan tandis qu’une nouvelle ZAD venait de se déclarer aux abords de Rennes-les-Bains. Et l’on devine une posture en pleine affirmation : « Ils tapent et nous on danse. »
1 Descriptif fourni par la décision du référé judiciaire
2 Cf. CQFD n° 103 : « La révolte des vignerons de 1907 ».
3 Midi Libre, 1/07/2012.
Cet article a été publié dans
CQFD n°113 (juillet 2013)
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Paru dans CQFD n°113 (juillet 2013)
Dans la rubrique Ma cabane pas au Canada
Par
Illustré par Rémy Cattelain
Mis en ligne le 12.10.2013
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