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Genèse du techno-pouvoir : le projet Manhattan


paru dans CQFD n°76 (mars 2010), rubrique , par Gilles Lucas, Raúl Guillén
mis en ligne le 13/05/2010 - commentaires

POUR LE DIRE avec les mots de l’U.S. Department of Energy, le projet Manhattan, projet de création de la bombe atomique, « est le modèle organisationnel qui a précédé les remarquables succès de la “big science”américaine pendant la seconde moitié du XXe siècle ». Caractérisé par un financement public faramineux – 2 milliards de dollars de l’époque, soit près de 24 milliards d’aujourd’hui –, le projet Manhattan emploie,à son apogée en 1945, environ 130 000 personnes qui travaillent sur près de trente sites différents : laboratoires secrets comme celui de LosAlamos, centres de recherche rattachés à des universités et centres de production souvent en partenariat avec le privé. Sa base industrielle avait une taille comparable à celle de l’industrie automobile. Dans l’après guerre, les développements de cet énorme outil technoscientifique, depuis les centrales atomiques aux machines pour réaliser les calculs – nos ordinateurs –, trouvèrent rapidement des débouchés dans le marché. En août 1945, malgré les informations sur la très probable capitulation japonaise [1] les bombes construites furent testées sur deux villes. Besoin de mener à son terme sur des objectifs réels une expérience qui avait englouti des quantités d’argent sans précédent ? Premier acte diplomatique de la Guerre froide face à une URSS qui s’apprêtait à attaquer le Japon ? Quoi qu’il en soit, deux jours après le bombardement de Nagasaki, la science poursuit sa marche. Commande est passée à un corps d’ingénieurs de l’armée pour effectuer, dès que possible, un rapport sur le terrain afin de répertorier avec précisions les dégâts matériels et les effets sur les personnes – mis à part les victimes immédiates – de ce qui est présenté comme « le plus grand exploit scientifique de l’histoire ». Viendra ensuite le moment d’expliquer aux citoyens pourquoi il s’agissait de la seule meilleure solution possible pour gagner la guerre. Le rapport Smith, adressé cette fois à la « société civile » et présentant ingénieurs et spécialistes comme médiateurs entre la populace et le techno-pouvoir, précisera : « Nous ne pouvons pas espérer que le citoyen moyen comprenne clairement comment une bombe atomique est construite et fonctionne, mais il y a dans ce pays un groupe substantiel d’ingénieurs et de scientifiques qui peut comprendre de telles choses et peut expliquer les potentialités de la bombe atomique à nos concitoyens. » Les technocrates s’emparent du pouvoir.

Voir aussi « Va te faire foutre, ma puce ! » et « L’hyperviseur du contrôle total ».


Notes


[1Cf. Une histoire populaire des États-Unis, Howard Zinn, Agone, 2002.



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Par Gilles Lucas


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